[Interview] François Bureloup : « Pendant le COVID, on se demandait si la culture était essentielle : elle n’est pas essentielle, elle est vitale ».

François Bureloup / © Ciné, Séries, Culture
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A l’occasion de la 56ème édition du Festival Off d’Avignon, j’ai pu aller à la rencontre de François Bureloup, qui est actuellement à l’affiche de Augustin Mal n’est pas un assassin. La pièce se joue du 7 au 26 juillet au Théâtre des halles, dans la salle du Grand Conservatoire d’Avignon.

Bonjour François, vous jouez actuellement dans Augustin Mal n’est pas un assassin au Théâtre des Halles. Pouvez-vous nous présenter ce spectacle ?

François Bureloup : Augustin Mal n’est pas un assassin c’est d’abord une œuvre littéraire qui a été écrite par Julie Douard aux éditions P.O.L. Et Augustin est un homme qui collectionne les slips et des déconvenues, qui ne veut pas faire de mal mais juste se faire du bien. C’est un type qui se voit ordinaire, qui est très sur le corps, son corps mais aussi celui des autres, qui a une familiarité qu’il juge sans vulgarité parce qu’il est très propre et c’est un type qui a des pulsions contre lesquelles il ne fait rien, bien au contraire. C’est un type qui est un contraste et un mélange de beaucoup de choses. A la fois, il a un besoin affectif très grand et il voudrait qu’on s’occupe de lui, qu’on l’aime et, en même temps, il fait fi des autres et il va chercher cette fameuse tendresse ou ce fameux amour sans vraiment demander l’autorisation. Donc c’est un type à la fois très ordinaire – comme on peut en connaître autour de soi dans son entourage – et qui a une vraie dangerosité parce que, comme on le voit dans le spectacle sans tout révéler, il n’est pas un assassin mais c’est tout de même un prédateur. C’est un type qui, dans sa tête, est dans le déni : il aimerait ressembler aux femmes mais il les hait, il voudrait ressembler aux hommes mais il les hait aussi donc c’est un type qui est dans sa logique et c’est un récit sur sa vie, sur ses pensées. On est sur une mise en abyme de son esprit malade. C’est un type pour lequel on peut avoir de l’empathie et, en même temps, du dégout ; qu’on a envie parfois de serrer dans ses bras et en même temps qu’on a nécessairement besoin de tenir à distance parce que, encore une fois, il a une dangerosité. C’est un texte qui, même s’il n’a pas été écrit récemment, est très en phase avec l’actualité car c’est sur le corps, le consentement, la pulsion sexuelle, l’agression sexuelle, donc c’est un texte très moderne.

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’endosser ce rôle ?

Quand on m’a envoyé le texte, Julie Douard (qui est l’autrice) et Olivier Lopez (qui est le metteur en scène de la Cité Théâtre à Caen) avaient déjà pensé à pas mal d’acteurs dont des acteurs connus. Et puis Julie a pensé à moi parce qu’elle m’avait vu à la télé. Elle s’est dit que j’avais l’air d’avoir un grand sens de la comédie – parce qu’on rit quand même beaucoup dans la pièce – et, en même temps, elle avait peut-être décelé une certaine fragilité, humanité ou vulnérabilité, une faille qui pouvait servir au personnage donc ils m’ont envoyé le texte. Je l’ai lu une première fois rapidement et j’ai fait « Waouh ! ». Donc je l’ai relu une deuxième fois, j’ai refait « Waouh ! » mais on ne savait pas trop si ce texte pourrait être adapté sur scène ou pas car c’était un livre, un roman, un récit. Alors, j’ai proposé au metteur en scène d’apprendre le premier chapitre qui fait 5-6 pages et je leur ai dit : « Donnez-moi quelques jours, j’essaye de voir si je peux le mettre en bouche, si on peut le vulgariser, le parler et on verra si c’est possible ». Et on s’est rendu compte que, même si la phrase est très riche, que le verbe est très haut et très beau parce que c’est une écriture chirurgicale, ça peut être dit donc on a commencé à travailler ensemble.

Je trouve que c’est le plus beau rôle qu’on m’ait offert jusqu’à présent parce que c’est un rôle qui mélange vraiment pleins de sentiments et d’émotions différents et donc d’intentions de jeu très différentes. Il est à la fois drôle, ridicule, dangereux, méchant, grave, sérieux, triste, nostalgique, mélancolique. Il y a pleins de choses : il y a de l’amertume, il y a aussi beaucoup de désirs. Il y a un hiatus d’émotions à jouer. En une heure et quart, on passe par tous les paliers mais j’ai l’impression que le public ressent évidemment tout ce hiatus d’émotions et, à jouer, je trouve ça formidable. Et puis je trouve que c’est toujours intéressant de jouer ce genre de personnage : c’est un monstre ordinaire – donc ça reste un monstre – mais c’est intéressant d’essayer d’y mettre de l’humanité. Si c’était juste un monstre froid, dur, sans remords, sans regret – il n’en a d’ailleurs pas beaucoup, un type dont on se dit qu’il est complètement irrécupérable je ne sais pas si ça m’aurait vraiment intéressé. Là, on se pose la question et c’est ça aussi qui est intéressant par rapport au public : « Est-ce que ce type est récupérable ou pas ? Comment ? Est-ce que ça serait judiciable ou pas ? ».

Et puis, en sous texte, il y a toute une réflexion quasi philosophique sur le mal car Julie Douard est prof de philo. « Est-ce que le mal c’est ce qu’on fait ? Est-ce que le mal c’est ce qu’on est ? Où se situe le bien, le mal, la morale ? » Donc, il y avait pleins de choses très intéressantes et puis, je me suis dit qu’un texte comme ça à jouer ça valait un classique, ça valait un Shakespeare, ça valait un Racine. C’est un texte d’une telle force, d’une telle puissance que je me suis dit que ça allait être un challenge en tant qu’acteur puisque, même si je viens de la scène, je viens plutôt du one man show et que, même si j’ai joué au théâtre, je n’avais jamais eu l’occasion de me confronter à un personnage aussi fort. Donc tout ça a fait que j’ai eu envie d’incarner cet Augustin.

Augustin Mal n’est pas un assassin / © Virginie Meigné

Vous êtes seul sur scène. Pour vous qui venez du one-man-show, est-ce un exercice que vous appréciez en tant que comédien ?

J’aime beaucoup être seul sur scène parce que je prends les risques, parce que ça nécessite une sorte de sang froid qui m’intéresse car je ne peux me raccrocher à rien. J’aime beaucoup jouer en troupe, je l’ai encore fait il y a deux ans avec Sept ans de réflexion avec Guillaume De Tonquedec, je l’ai fait sur Trois hommes et un couffin, je l’ai fait avec Clinic, je l’ai fait avec Jacques et son maître aussi avec Nicolas Briançon. Enfin, j’ai joué plusieurs pièces mais je viens du one man show, je viens de la confrontation et puis j’ai un côté un peu compet. Dans le one-man-show, j’aimais bien quand je me disais : « Les gens ne vont pas rire mais moi je vais y arriver ». Je crois que ça doit être une histoire d’ego aussi, je dois avoir un ego un peu surdimensionné, mais j’aime bien me confronter seul au public.

Et puis, avec ce texte, il y a beaucoup de choses. Je n’aime pas l’idée de dire que je suis acteur pour faire passer des messages parce que je ne crois pas qu’on soit là pour faire passer des messages mais je sais que c’est un texte qui bouscule les gens et qui les amène à réfléchir donc je trouve que c’est intéressant d’être le vecteur, le porteur de cette parole. Déclencher le rire c’est sympa, c’est immédiat, les gens se marrent mais, là, on déclenche une réflexion chez le spectateur – même s’il y a du rire aussi – et je trouve que c’est aussi intéressant que les gens sortent en se posant des questions. Tout ça fait que, même si j’aime beaucoup le travail de troupe, j’aime particulièrement jouer seul. Mais c’est vrai que c’est un exercice pas facile le seul en scène, et à Avignon encore moins, parce qu’on se rend compte que les gens sont dans une consommation de spectacles ici et qu’ils ne viennent pas obligatoirement pour voir François Bureloup ou Julie Douard ou une pièce parce que c’est le Théâtre des Halles ou le travail d’Olivier Lopez : ils viennent parce que c’est un horaire, parce que l’affiche leur a plu, parfois on ne sait pas trop pourquoi. Et on voit que le public n’est pas le même que celui des autres salles où les gens payent leur place pour voir Augustin Mal n’est pas un assassin en fonction d’un critère précis, que ce soit mon nom, le texte, etc. Donc, c’est un public qui est encore plus compliqué, plus difficile. Il fait chaud donc le public est avec son éventail, parfois il regarde le catalogue pour savoir ce qu’il va aller voir après. Ça nécessite de redoubler de concentration donc c’est ça qui est intéressant je trouve.

Le spectacle va-t-il être repris à Paris ou en tournée par la suite ?

Alors, en province, on a des dates jusqu’en fin 2023. Je sais qu’on va aller jouer au Havre, il y a notamment beaucoup de représentations prévues dans le Nord et la région de Caen.

A Paris, on a une salle qui est très intéressée mais on doit en rediscuter avec eux et Avignon sert justement à ça. Il y a beaucoup de professionnels qui viennent, on a une très bonne presse pour le moment et les critiques sont dithyrambiques. On a eu 9 papiers ou blogs depuis huit jours (ndlr : l’interview a été faite le 14 juillet). Je crois que les gens trouvent le travail général remarquable et, encore une fois, je n’en tire aucune fierté particulière parce que je crois vraiment que Augustin Mal n’est pas un assassin, c’est avant tout un texte et que ce texte est tellement puissant, tellement fort, qu’il emballe tout. Il y a aussi le jeu, la mise en scène, etc. mais le texte y est pour beaucoup.

Après, je sais que certaines institutions privées aiment beaucoup le spectacle mais il faut réussir à le positionner par rapport à un public car c’est un spectacle qui est interdit aux moins de 14 ans, c’est un spectacle qui bouscule. C’est une offre très particulière et c’est vrai que les gens ont aussi besoin, surtout après ces deux années de pandémie, de remplir la salle. Même si c’est une petite salle de 50 places ici au Théâtre des Halles, au Conservatoire, c’est plein depuis deux jours. Il y a aussi des critères économiques, mais on espère vraiment jouer bientôt à Paris.

Vous avez joué durant six saisons dans la série Chérif. Que gardez-vous de cette expérience ?

J’en garde pleins de choses. Déjà, j’en garde que le public aimait beaucoup le personnage de Beaudemont et que, quatre ou cinq ans après la fin, on m’en parle encore donc je pense que ça a marqué les gens. Je garde un très bon souvenir d’une équipe très soudée avec nos partenaires de jeu : je suis resté très en lien avec Vincent Primault qui faisait Dejax, Carole Bianic ou Elodie Hesme et puis Making Prod. C’était un beau succès donc il n’y a que des bons souvenirs. Ça aurait pu continuer une année de plus, ça devait continuer une année de plus, et puis je pense qu’il y a eu une difficulté avec l’acteur principal. Mais, vraiment, je n’en garde que des bons souvenirs puisque les gens, en tout cas, me parlent toujours de Beaudemont et ils me demandent souvent : « Quand est-ce que vous reprenez Chérif ? » mais je crois que ce n’est pas d’actualité…

C’est votre premier Festival OFF ?

Non, je l’ai déjà fait il y a 20 ans, en 2001 je crois, avec un spectacle qui s’appelait Bureloup est drôle. J’étais en peignoir et tongs et c’était qu’un spectacle de sketchs. J’avais joué 28 représentations de suite, il faisait très chaud et j’étais sorti épuisé de ce festival. Je n’en avais d’ailleurs pas gardé un très bon souvenir parce que ça avait été fait dans des conditions difficiles et que j’avais eu l’impression qu’on était un peu sur de l’industriel. Et puis, j’étais plus jeune et avec une équipe où il y avait des difficultés. Donc, quand on m’a reproposé Avignon, j’y suis allé d’abord avec une petite réticence et, en fait, je suis très heureux d’être là parce que ce projet-là me porte. Et puis j’ai pleins de potes, dont Bruno Salomone qui n’est pas loin, donc on croise pleins de copains, et c’est sympa mais c’est vrai que c’est un travail de longue haleine : il faut gérer son temps de récupération, de repos. C’est ça aussi qui est dur avec le seul en scène par rapport à la troupe, c’est que ça nécessite 1h30 à fond. Une comédie où vous êtes cinq ou six sur scène et qui dure 1h30, vous êtes portés par vos partenaires. Là, je ne suis pas obligatoirement porté par le public qui découvre aussi ce texte, je suis tout seul donc ça nécessite aussi un surinvestissement d’énergie. C’est pour ça que, dès que le spectacle est fini, je file et je ne reste pas trop dans la ville.

Mais je trouve qu’à Avignon, ce qui est génial c’est d’avoir pléthore de spectacles : on a du spectacle pour enfant, du cirque, de la marionnette, du spectacle musical, des grands auteurs, des auteurs modernes, de la comédie romantique, de la comédie à deux balles, des one-man-show sérieux, pas sérieux, du chant, etc. Il y a pleins de choses !

C’est génial de voir surtout que le public est revenu à Avignon cette année, que les gens sont là avec leur catalogue, qu’ils prennent les tracts, qu’ils échangent, qu’ils sont curieux. Pendant le COVID, on se demandait si la culture était essentielle : elle n’est pas essentielle, elle est vitale. Il faut – surtout qu’en ce moment dans le monde ça devient compliqué – sortir, s’émouvoir, être curieux, rire, pleurer, passer un bon moment, s’emmerder, ne pas aimer mais il faut sortir !

Avez-vous d’autres projets qui se profilent à l’horizon après le Festival ?

Je vais partir un peu en vacances en famille mais je n’ai pas de projets à proprement parler. Augustin Mal n’est pas un assassin sera repris à partir de novembre. Les premières dates sont au Havre. Et puis j’ai des choses qui vont sortir à la télé. Je viens de tourner de nouveau avec Josée Dayan un Capitaine Marleau qui devrait sortir peut-être l’année prochaine. Avec Josée Dayan, j’avais tourné aussi Diane de Poitiers avec Isabelle Adjani qui devrait sortir sur France Télévisions bientôt. J’ai un film avec Ahmed Sylla et Bertrand Usclat qui sort le 28 septembre qui s’appelle Jumeaux mais pas trop, une comédie qui a l’air très drôle mais que je n’ai pas encore vu. Mais, pour l’instant, je suis focalisé sur Avignon et je n’ai pas d’autres projets ni de tournage, ni de pièce en particulier mais ça va venir. Enfin, on espère…

Auriez-vous un coup de cœur à partager pour ce Festival OFF 2022 ?

J’essaye d’aller voir beaucoup de spectacles mais je ne peux pas aller tout voir. Je suis allé voir un spectacle dans le IN, je suis assez content. Hier, je suis allé voir le spectacle d’Armelle Deutsch, Je m’appelle Adèle Bloom : c’est formidable, extraordinaire, incroyable. Il faut y aller. C’est à 21h40, c’est une romancière qui sombre dans la folie, qui se retrouve en hôpital psychiatrique et c’est une des plus grandes comédiennes que je connaisse. Non seulement, c’est une copine mais indépendamment de ça, je trouve qu’elle a une incarnation qui est stupéfiante. Si vous aimez les grands numéros d’acteur, et c’est le cas d’Armelle Deutsch dans ce spectacle, vous pouvez y aller les yeux fermés.

Je suis également allé voir la pièce de Alexis Michalik, Une Histoire d’Amour, et c’est vraiment très bien mais bon, Alexis Michalik, c’est quelqu’un qui sait y faire. Le spectacle d’Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre qui est juste avant moi : A table, chez nous, on ne parlait pas est formidable. J’ai vu aussi L’installation de la peur d’Alain Timàr au Théâtre des Halles. Il y a pleins de spectacles au Théâtre des Halles qui sont très intéressants. La pièce avec Bruno Salomone et Davy Sardou, Au Scalpel, est très bien aussi mais il y en a pleins. Pour l’instant, je n’ai pas été déçu donc voilà pour mes premiers coups de cœur.

Pour conclure, je vous laisse le mot de la fin.

Je trouve que c’est très courageux de faire un blog sur la culture et je vous envoie plein d’énergie pour continuer parce qu’il faut diffuser la culture partout. Et puis j’invite à venir voir Augustin Mal n’est pas un assassin jusqu’au 26 juillet tous les jours sauf le mercredi à 14h30 en disant que c’est bien de sortir bousculé, que c’est une œuvre qui n’est pas simple, qui n’est pas facile, qu’on peut vraiment ressentir ce qu’on voit presque dans sa chair mais qu’après ça suscite pas mal de questionnements, d’interrogations, de prises de position et que c’est bien aussi de faire des spectacles comme ça, un peu annexes, qui vous traverse.

Un grand merci à François Bureloup d’avoir pris le temps de répondre à mes questions pour Ciné, Séries, Culture.


Augustin Mal n’est pas un assassin (1h15)

  • Auteur : Julie Douard
  • Metteur en scène : Olivier Lopez
  • Avec : François Bureloup

A l’affiche du Théâtre des Halles du 7 au 26 juillet 2022 à 14h30 (relâches les 13 & 20 juillet)

Résumé : Augustin Mal est un homme qui se rêve ordinaire, mais tout nous révèle qu’il n’est pas dans la norme. Il collectionne les slips et les déconvenues, se raconte qu’il va bien et qu’il est amoureux, force un peu le destin quand une femme lui dit non… La morale commune lui échappe et sa vie repose sur un malentendu : il ne veut pas faire de mal, juste se faire du bien.

1 commentaire
  1. […] Augustin Mal n’est pas un assassin se joue du 7 au 26 juillet 2022 (sauf les mercredis) à 14h30 au Théâtre des Halles (salle du Conservatoire du Grand Avignon). Dans les jours à venir, vous pourrez retrouver sur Ciné, Séries, Culture une critique plus détaillée de la pièce ainsi qu’une interview de François Bureloup. […]

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