[Interview] Nathalie Mann : « Avignon, c’est une possibilité de création extraordinaire »

Nathalie Mann / © Olivier Allard
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A l’occasion de la 56ème édition du Festival Off d’Avignon, j’ai pu aller à la rencontre de Nathalie Mann, qui est à l’affiche de 3 pièces : Rentrer dans le moule au Théâtre du Balcon, Les Racines de la Liberté et Au commencement j’avais une mère à l’Espace Roseau Teinturiers. Les trois pièces se jouent du 7 au 30 juillet à Avignon.

Bonjour Nathalie, vous avez une actualité très chargée en cette édition 2022 du Festival OFF puisque vous êtes à l’affiche de 3 pièces : Rentrer dans le moule, Les Racines de la Liberté et Au commencement j’avais une mère. Pourriez-vous nous présenter ces 3 spectacles ?

Les Racines de la liberté, c’est la dernière rencontre entre Danton et Robespierre. Une semaine plus tard, Danton est arrêté et guillotiné. Trois mois plus tard, c’est le tour de Robespierre. La rencontre est historique, elle a eu lieu mais personne ne sait exactement ce qui s’y est dit. L’auteur qui connaît très bien la révolution et les deux révolutionnaires a imaginé ce qu’ils ont pu se dire pendant une heure et demi. C’est passionnant à la fois sur ce qu’on apprend de la révolution, des révolutionnaires, mais surtout sur le fond dont on parle : la liberté, l’égalité, la démocratie, les femmes, etc. Je joue Robespierre et j’adore ça. Il y a beaucoup de parallèles avec aujourd’hui et, tous les jours, les gens restent au moins une demi-heure avec nous à discuter après la pièce. Le texte est vraiment passionnant.

Le matin, je joue dans Rentrer dans le moule, une pièce autour d’une famille qui a un fils qui souffre du syndrome d’Asperger. C’est donc une famille un peu dysfonctionnelle avec toutes les difficultés qu’elle rencontre mais, en même temps, il y a une immense tendresse, il y a une délicatesse infinie dans la pièce qui fait que ce n’est pas triste, c’est juste différent. On nous emmène par la main dans quelque chose de complètement décalé, les personnages ont tous une espèce d’univers un peu décalé finalement dans leur tête. Il n’y a pas que le fils qui est différent. Et c’est un très joli spectacle. Mes partenaires sont trop chouettes aussi. Et Jacob Porraz qui joue mon fils est formidable.

Le soir, je joue dans Au commencement j’avais une mère qui est une histoire vraie. C’est une femme qui, à 50 ans, en achetant une maison reçoit un papier où elle découvre qu’elle a été adoptée, elle lit le nom de sa mère biologique et c’est un électrochoc. Elle savait au fond qu’elle avait été adoptée car elle a été adoptée un peu avant 5 ans mais on lui a toujours menti en lui disant qu’elle était chez une nourrice, que ses photos de bébé avaient été perdues, etc. Donc, elle commence à écrire des lettres magnifiques à cette mère qu’elle ne connaît pas, dont elle ne sait pas si elle vit encore quelque part ou pas, jusqu’au moment où elle va la retrouver et, là, c’est une rencontre un peu électrique. Avec Denis Malleval, le metteur en scène, on a adapté ces lettres qui sont des vraies lettres et on en a fait un spectacle. Elle n’est pas du tout dans le pathos mais elle vous touche profondément : « Quel est le premier regard d’amour qui s’est posé sur moi. Qui suis-je ? D’où je viens ? C’est quoi mes racines ? Comment je me suis construit avec des mensonges, avec des non-dits, avec des secrets de famille ? ». Forcément, à un moment donné, on est touché profondément.

Vous jouez donc dans 3 pièces très différentes. N’est-ce pas trop difficile d’enchaîner ces 3 spectacles dans la journée ?

En fait, elles sont tellement différentes que ce n’est pas si difficile que ça. Ce sont d’autres peaux à chaque fois. Par contre, ce qui est fatiguant à Avignon et, en même temps, merveilleux c’est quand on tracte. C’est le fait de parler dans la rue mais, en même temps, c’est ça qui crée cette relation merveilleuse avec le spectateur que j’adore à Avignon.

Si Les Racines de la liberté est une reprise, les deux autres spectacles sont des créations. Aborde-t-on le festival différemment selon que le spectacle soit une reprise ou une création ?

La reprise, c’est un peu plus facile parce qu’on a déjà des critiques. On avait d’excellentes critiques qui nous portent puisqu’elles apparaissent dans le programme. Pour les créations, quand on crée un spectacle, il évolue un peu tous les jours c’est-à-dire que, tous les jours, on s’enfonce un peu plus dans les personnages, il y a la relation qui se crée avec le public et, du coup, il y a toute cette magie qui se passe et qui ne peut se passer que sur scène, qui fait que le spectacle continue à prendre des couleurs. Cette année, Les racines de la liberté a pris encore un autre envol par rapport à l’an dernier qui était super, qui avait trop bien marché mais on a encore changé des choses, on a trouvé d’autres choses encore plus chouettes, notamment dans la bande son. Du coup, on évolue et c’est ça qui est magnifique.

Vous avez également fondé en 2010 la compagnie Fracasse avec laquelle vous produisez Les Racines de la Liberté et Au commencement j’avais une mère. C’était pour avoir plus de libertés ?

La Compagnie Fracasse, je l’ai créée après une expérience un peu douloureuse où tout d’un coup, après avoir soutenu un spectacle, j’en ai été écarté par les producteurs parce qu’il voulait quelqu’un de plus connu. Lorsqu’on m’a proposé un autre texte qui était génial et qui s’appelait La Papesse américaine, j’ai alors créé ma structure pour être le maître de mon propre navire et pouvoir créer ce que je voulais. Evidemment, on prend un risque à chaque fois, notamment un risque financier mais, en même temps, ça a été une liberté extraordinaire. Je n’ai jamais regretté qu’il y ait eu la souffrance de cette pièce, même si ça avait été très compliqué alors que le public avait vraiment adhéré au spectacle, car ça m’a donné une force incroyable. Après cela, tout ce qu’on a créé avec la compagnie a formidablement fonctionné : on a fait que des succès à Avignon et c’était formidable. Donc merci le destin parfois de vous mettre des bâtons dans les roues parce que ça vous donne de la force pour créer des choses, pour inventer. Et, tout ce qu’on a inventé derrière a formidablement fonctionné donc c’est important d’arriver parfois à se servir des épreuves comme d’un formidable levier vers autre chose.

Ces 3 pièce vont-t-elles être reprises à Paris ou en tournée par la suite ?

Je ne sais pas encore. En tournée, oui, parce qu’on a déjà des dates pour Les racines de la liberté mais pour les deux autres spectacles, on ne sait pas puisqu’on vient de les créer et que c’est tout neuf.

On va jouer Les racines de la liberté à l’Ile-aux-Moines le 5 août, puis autour de Paris en novembre à Saint-Germain-en-Laye, à Fontainebleau. Ce sont des dates qui sont prévues depuis l’an dernier.

Ce n’est pas la première fois que vous participez au Festival OFF. Qu’est-ce que vous appréciez ici ?

Non, ce n’est pas la première fois en effet. Il y a quelque chose d’unique à Avignon. C’est épuisant, quand on sort de là on a perdu 3 kilos – et c’est parfait pour aller à la plage après (rires) – mais, par contre, c’est une ambiance unique et merveilleuse. Et, une possibilité de création extraordinaire.

Et puis, c’est le contact avec le public qui est merveilleux. Il y a une fidélité énorme des spectateurs. Il y a des gens qui vont voir tout ce que je fais depuis des années et, quand je les croise, ils me demandent ce que je fais cette année, où je joue, etc. C’est un contact assez merveilleux qui n’existe nulle part ailleurs.

Vous êtes également membre du C.A. de l’A.A.F.A. (Actrices et Acteurs de France Associés). Pourriez-vous nous parler de votre engagement avec cette association ?

C’est une association qu’on a créé en 2014. C’est la grosse association d’acteurs en France. En fait, rien n’existait avant et il était vraiment nécessaire de la créer pour, nous, les acteurs. Ce sont d’ailleurs des réalisateurs qui nous ont incité à créer l’A.A.F.A. en nous disant qu’il était dommage que tous les corps de notre métier possèdent des associations sauf les acteurs qui sont pourtant sur le devant de la scène que ce soit au cinéma, à la télé ou sur scène. Et c’est vrai que c’était incroyable que l’on n’ait pas d’association, en dehors des collectifs ou des choses comme ça qui existaient déjà. Du coup, on a créé cette association avec pleins de commissions : le rôle est à la fois de nous souder les uns aux autres, c’est-çà-dire de faire du lien entre nous, mais il y a aussi une vraie utilité. Par exemple, on a une commission qui s’appelle le Tunnel de la comédienne de 50 ans qui a fait beaucoup parler d’elle dans les médias. C’était formidable car on s’était rendu compte que les femmes étaient très peu représentées à l’image à partir d’un certain âge et que c’était honteux puisque ça ne représentait pas du tout la société donc ça a été un combat et les médias nous ont suivi. On a vu que les castings avaient été très sensibles à ça car ils ont dégenrés des rôles : tout à coup, des rôles de médecins ou de pouvoirs qui auraient été attribués exclusivement à des hommes pouvaient potentiellement être tenus par une femme et pas seulement le rôle de la mère, de l’épouse, de la maitresse ou de la grand-mère. C’était super important pour nous.

Il existe un tas de commissions dont Actoteures, qui regroupe des acteurs-auteurs, dans laquelle on a créé d’ailleurs Rentrer dans le moule car Juliette Duval est actrice et autrice. Ils s’amusaient à créer des petites choses et, tout à coup, cette petite chose de 20 minutes qu’on avait présenté au sein de notre association est devenu un gros spectacle soutenu par l’ADAMI. Et ça amène aussi pleins de créations.

Il y a aussi une commission qui s’appelle Soutiens qui est très importante par rapport à toutes les notions de harcèlement sexuel qui existent violemment dans notre métier où les acteurs et les actrices sont très vulnérables. Je fais partie de cette commission et on a eu la chance de pouvoir prendre la parole pendant la dernière cérémonie des Molières où j’ai pu parler au nom de la commission pour demander la création d’un référent dans les théâtres qui soit formé et sur lequel les comédiens et comédiennes puissent s’adresser pour toutes les questions de harcèlement, voire plus. C’est très important et les retours ont été formidables car même des spectateurs ici m’en parlent beaucoup et sont très touchés par rapport à cet engagement. Et, après la cérémonie des Molières, beaucoup d’acteurs et d’actrices sont venus me trouver en me disant « Merci, c’est tellement nécessaire ». Et des hommes aussi parce qu’il n’y a pas que les femmes qui en sont victimes. Donc on est très fiers de ça et on va continuer. On ne va pas s’arrêter, on ne va pas lâcher l’affaire. On a une adresse mail que l’on peut trouver sur le site de l’A.A.F.A. où les gens peuvent envoyer leur témoignage : nous on les guide, on les aide, on voit s’il y a plusieurs témoignages autour d’une même personne et on essaie de les mettre en relation pour qu’ils puissent s’épauler et ne pas être tous seuls dans leurs démarches.

Avez-vous d’autres projets qui se profilent à l’horizon après le Festival ?

On m’a déjà proposé un autre projet pour l’an prochain mais je vais voir car c’est vrai que parfois ça se bouscule un peu au théâtre car j’ai beaucoup de choses. J’ai un autre projet encore avec une copine dans l’année au théâtre, on doit en parler en août. Je joue encore dans Plus Belle La Vie où je fais la Juge Colbert : je vais tourner une dernière fois au mois d’août puisqu’après c’est la dernière arche de cette série, où j’avais un personnage que j’adorais et qui était très drôle. C’est tout pour mes projets.

Auriez-vous un coup de cœur à partager pour ce Festival OFF 2022 ?

Avec 3 spectacles à jouer, c’est impossible d’en voir d’autres. Mais il y a un très beau spectacle qui se joue à la même heure que moi qui s’appelle Darius au Théâtre des 3 Raisins. Les deux acteurs sont merveilleux et l’écriture de Jean-Benoît Patricot est formidable, tout comme la mise en scène. Je l’avais vu à Paris et j’ai adoré ce spectacle. Allez voir Gardiennes de Fanny Cabon qui parle de toute une génération de femmes qui se sont fait avorter et où elle raconte l’histoire de sa famille. C’est formidable. C’est un très bon spectacle, très utile et qui touche beaucoup de femmes. Je vous conseille vivement Martine Fontaine dans 50 ans ma nouvelle adolescence à la Condition des Soies : elle a juste quelques dates mais elle est merveilleuse. Elle parle de sa vie de femme à 50 ans et c’est formidable. Il y a aussi les pièces de Didier Caron que j’adore. Je n’ai pas vu Zola, l’infréquentable mais il a aussi une comédie qui s’appelle Un Cadeau particulier au Théâtre Barretta. J’adore son écriture et on m’a dit que c’était formidable aussi.

Dans le théâtre où je suis, à l’Espace Roseau Teinturiers, il y a de très beaux spectacles. Il y a Univergate qui se joue juste avant Au commencement j’avais une mère. Quand je vois la tête des gens qui sortent tous les jours, je pense qu’il faut y aller car ils sortent en disant que c’est formidable. Et puis, toujours à l’Espace Roseau Teinturiers, il y a aussi La disparition d’Agatha Christie qui est très sympa, une pièce de Brigitte Kernel et Sylvia Roux qui est une aventure réelle et romancée autour d’Agatha Christie.

Pour conclure, je vous laisse le mot de la fin.

Vive le Festival ! Vive les créations ! C’est un moment puissant de rencontres. Et je voudrais dire aux festivaliers de ne pas trop boucler leur programme avant d’arriver à Avignon, de laisser la place au mystère, à la rencontre, au bouche-à-oreille parce que c’est super important. On vient ici pour faire des créations et, quand les gens arrivent, que vous leur parlez et qu’ils disent « J’ai déjà tout réservé », c’est dommage. Avant, il n’y avait pas cette pression sur les réservations : les gens avaient le nez au vent à sentir ce qu’on disait, ce qu’on racontait dans les rues. Du coup, il y avait cette curiosité et c’est vraiment dommage d’être dans quelque chose qui devient plus commercial. Je comprends bien que parfois ils réservent car sinon c’est complet mais laissez quand même des plages libres parce que ça vaut le coup. Vous allez rencontrer des gens, vous allez rencontrer des comédiens, des comédiennes, des metteurs en scène passionnés qui vont vous parler, vous allez avoir trop envie d’y aller et vous ne pourrez plus parce que vous aurez déjà bouclé votre programme et c’est dommage. C’est un peu la poésie, la magie d’Avignon et il faut la garder.

Un grand merci à Nathalie Mann d’avoir pris le temps de répondre à mes questions pour Ciné, Séries, Culture.


 Rentrer dans le moule (1h20)

  • Auteur : Juliette Duval
  • Metteur en scène : Juliette Duval
  • Avec : Jean-Luc Porraz, Nathalie Mann, Jacob Porraz, Valentine Galey

A l’affiche du Théâtre du Balcon du 7 au 30 juillet 2022 à 10h10 (relâches les 12, 19 & 26 juillet)

Résumé : Sur le fil du rasoir entre rire et larmes, combativité et lâcher prise, réalité, folie et tentative d’évasion, Juliette Duval nous raconte l’histoire de Vincent, un adolescent ayant le syndrome autistique d’Asperger, exclu de son école faute d’encadrement. Comment trouver sa place ? Comment être pleinement soi-même ? Malgré ce que chaque membre de la famille vit, elle tissera dans l’humour et l’amour « son » univers tragique, drôle et poétique.

Les Racines de la Liberté (1h25)

  • Auteur : Hugues Leforestier
  • Metteur en scène : Morgane Lombard
  • Avec : Nathalie Mann, Hugues Leforestier

A l’affiche de l’Espace Roseau Teinturiers du 7 au 30 juillet 2022 à 13h30 (relâche le 26 juillet)

Résumé : 22 mars 1794 – Ultime face à face entre Danton et Robespierre, ces deux figures de proue de la révolution française qui se sont aimées, détestées, respectées et qui espéraient un nouveau monde, plus juste et équitable. Un texte d’une actualité troublante, où tout est historiquement vrai… et le reste vraisemblable ! Un lien entre passé et présent, vieux et nouveau monde. Et pour les incarner, deux corps, deux identités, féminine et masculine, le choc de deux intelligences concevant les racines de notre liberté.

Au commencement, j’avais une mère (1h15)

  • Auteur : Annick Dufrêne, Denis Malleval, Nathalie Mann
  • Metteur en scène : Denis Malleval
  • Avec : Nathalie Mann

A l’affiche de l’Espace Roseau Teinturiers du 7 au 30 juillet 2022 à 19h30 (relâche le 26 juillet)

Résumé : Au commencement, Gaëlle avait une mère… et puis plus rien. Cinq ans plus tard elle a une nouvelle mère et même un père… Ce ne sont pas les vrais, elle le sait bien, mais de leur part silence radio. A 50 ans, sans crier gare, un papier officiel dévoile à Gaëlle le nom de sa mère naturelle. Après des années de mensonges et de non-dits, elle démarre une quête en solitaire et, de St Malo à Londres, elle nous raconte son périple tortueux à la recherche d’elle-même, et de celle qui l’a mise au monde.

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