[Interview] Joseph Gallet : « Avignon, c’est le seul moment de l’année où l’on se reconnecte avec le public »

Joseph Gallet / ©
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A l’occasion de la 56ème édition du Festival Off d’Avignon, j’ai pu aller à la rencontre de Joseph Gallet, qui est actuellement à l’affiche de deux pièces qu’il a également co-écrites avec Pascal Rocher : Mes Copains d’Abord et De quoi je me mêle ! Les deux pièces se jouent du 7 au 30 juillet au Théâtre Le Palace à Avignon.

Bonjour Joseph, tu joues actuellement Mes Copains d’Abord au Théâtre Le Palace Avignon, que tu as co-écrit avec Pascal Rocher. Peux-tu nous présenter la pièce ?

Mes Copains d’Abord c’est, comme son titre l’indique, une pièce sur l’amitié mais pas seulement, même si c’est la thématique centrale de cette pièce. Avec Dîner de Famille, on avait abordé, avec Pascal Rocher, le thème de la famille, avec De quoi je me mêle ! c’était le couple et avec Mes copains d’abord, cette fois-ci, on voulait parler de l’amitié.

C’est l’histoire d’une bande d’amis d’enfance qui se sont fait une promesse car ils ont compris dès le lycée que la vie allait les éloigner. Pour être sûr de ne pas totalement se perdre de vue, ils ont décidé que tous les 10 ans, le 31 décembre, ils passeraient le réveillon ensemble pour commencer ensemble la nouvelle décennie.

Cette année, ils ont 40 ans et la soirée se passe chez l’un d’entre eux qui, entre temps, est devenu une sorte de Steve Jobs ou de Mark Zuckerberg français, c’est-à-dire un mec qui est mondialement connu, très riche, célèbre et qui est à la tête d’une boîte d’objets connectés et d’intelligence artificielle. Il les invite chez lui et quand ils arrivent, ils découvrent qu’il leur a fait une petite surprise : c’est un jeu durant lequel ils vont devoir choisir l’un d’entre eux à l’unanimité pour le remplacer à la tête de sa boîte et récupérer sa fortune. Et ils vont devoir choisir avant minuit, c’est-à-dire avant la fin de l’année. Le jeu commence et, bien évidemment, leur amitié va être mise à rude épreuve. Le principe, c’est qu’on a beau se dire qu’on est amis, qu’on a des liens qui nous unissent mais que dès qu’on est confrontés à ce genre de questions, on se demande : « Qu’est-ce qu’il restera de tout ça en fait ? ». Ça va les amener à se dire des choses qu’ils ne se sont jamais dites, à faire des révélations. Il y a des surprises.

Dans cette pièce, tu joues Ludovic. Est-ce que tu peux nous présenter ton personnage ?

Ludovic c’est le moins sympa des quatre. C’est le pote un peu prétentieux qui a réussi dans la vie mais dont la vraie réussite, c’est de dire qu’il a réussi dans la vie, pour compenser pleins de choses de quand il était plus jeune avec ses amis et qu’on découvre petit à petit dans l’histoire. Il est névrosé par rapport à ça car il n’était personne au lycée, personne ne s’intéressait à lui parce que c’était le moins intéressant de la bande et, aujourd’hui qu’il a réussi, il ne peut s’empêcher de le répéter pour le prouver à tout le monde, mais surtout à lui-même.

C’est un peu l’histoire des amitiés d’enfance et on le dit à un moment dans la pièce : « Est-ce que si on se rencontrait aujourd’hui, on serait vraiment amis ? ». Le problème, c’est que toutes ces personnes se sont rencontrées à un âge où tous ces traits de caractères n’étaient pas développés. C’était encore des enfants, ils avaient entre 12 et 15 ans. Or, les gens changent : la vie les confronte à des choses, ils ont tous pleins de raisons d’avoir évolué comme ils ont évolués. Est-ce qu’ils peuvent encore se dire amis aujourd’hui ? Ludovic, c’est un peu l’archétype de ça : c’est un mec qu’on pourrait dire vraiment pas sympa, voire même désagréable mais pourtant il fait partie de cette bande d’amis. En vérité, il y a une raison qui les unit et cette raison c’est l’amitié. Il faut juste laisser le temps à l’amitié de revenir.

Comme pour les précédentes pièces, tu as co-écrit Mes Copains d’Abord avec Pascal Rocher. Comment se passe l’écriture en duo ?

Il n’y a pas de règles mais, ce qu’il y a de bien, c’est qu’on se complète parce que Pascal et moi on n’a pas les mêmes centres d’intérêts dans l’écriture. Moi, j’aime beaucoup penser au pitch, à la structure de l’histoire, ainsi qu’à la psychologie des personnages. Pascal, lui, il adore les dialogues. Du coup, c’est génial parce qu’une pièce c’est un mélange de tout ça. Et on est très heureux chacun de pousser le curseur sur ce qu’on aime. Après, bien évidemment, Pascal est aussi partie prenante du pitch, des structures. On n’est pas chacun dans notre prérequis, dans notre chasse gardée où l’autre n’intervient pas. Il y en a un qui va proposer ça et l’autre rebondit. Ensuite, on avance une fois que chacun a proposé un truc. On passe des mois sur les personnages pour les définir. Comme Ludovic, qui travaille dans une agence de pub mais qui, en même temps, fait de la politique parce qu’on voulait souligner qu’aujourd’hui la pub et la politique, c’est un peu pareil et que les slogans de pubs pourraient être des slogans d’homme politique. Et c’est pareil pour tous les personnages.

On a développé Céline qui est l’ex-femme de Ludovic : elle, elle est plutôt dans tout ce qui est crise de la quarantaine. Elle veut se retrouver donc elle est partie dans tout ce qui est reiki, sophrologie, etc. pour remettre du sens dans sa vie parce qu’elle était mère au foyer et qu’elle a passé beaucoup de temps à éduquer ses enfants. Elle a beaucoup aimé cette période de sa vie mais, maintenant, elle veut retrouver un truc qui la passionne.

Après, on a Audrey qui, pour faire simple est une Greta Thunberg de 40 ans c’est-à-dire une femme totalement connectée qui a des millions de followers et qui défend à fond l’écologie, peut-être même trop. C’est une obsession chez elle : elle ne parle que de ça comme si on pouvait tout régler individuellement avec une forme de culpabilisation qui, à mon sens – même si je suis d’accord avec ce que dit le personnage – peut être contreproductive quand c’est de l’acharnement.

Et puis, on a Benoît, le quatrième, qui est le pote un peu loser qui, lui, a eu son plus grand moment au lycée car c’était le plus baraqué, le plus grand. Lui, il a moins réussi la deuxième partie de sa vie mais, du coup, c’est lui qui ramène l’esprit de l’époque parce que, lui, clairement ses meilleurs moments c’était le lycée.

On passe beaucoup de temps à penser aux personnages, puis après à la structure. Avant même d’écrire le moindre dialogue, on fait un résumé très précis pour qu’on puisse aussi travailler à distance. Ensuite, on s’attaque au dialogue. C’est Pascal qui commence de son côté, il m’envoie ce qu’il a écrit, je retouche et puis après on se revoit et on écrit à quatre mains.

Tu es également à l’affiche d’une autre pièce, qui revient au festival cette année, De quoi je me mêle ! Tu peux nous en dire quelques mots également ?

De quoi je me mêle ! c’est sur le couple et c’est une pièce à 3. L’histoire, c’est Marion et Matthieu qui sont mariés depuis 10 ans. Leur couple commence un peu à battre de l’aile et ils se disent qu’il serait temps de raviver un peu la flamme et de pimenter un peu les choses. Pour cela, ils ont une idée originale (enfin surtout elle), c’est de revivre au mot près le jour où ils sont tombés amoureux un peu comme un jeu de rôle, une sorte de revival, parce qu’ils s’en souviennent encore très bien. Matthieu accepte bon an mal an car lui c’est plutôt le lunaire, le poète – et ça peut être très chiant le mec qui n’est pas concerné par ce qui se passe. Du coup, elle est un peu obligée d’être celle qui dirige parce que, parfois, c’est un peu un enfant qu’elle a avec elle. Donc, ils se font un script très détaillé, ils relouent la maison où ils se sont rencontrés sauf qu’en arrivant, et c’est là que commence l’histoire, ils découvrent que la maison a aussi été louée par erreur à Pierre, un écrivain totalement dépressif qui, lui, vient de se faire larguer et veut s’isoler pendant le week-end pour écrire un bouquin sur les bienfaits du divorce. Et quand on a deux personnes qui veulent sauver leur couple qui doivent cohabiter avec une personne qui ne jure que par le divorce, ça crée le sel de De Quoi je me mêle !

Outre le fait que tu as co-écrit ces 2 pièces avec Pascal Rocher, elles ont pour point commun d’avoir été mises en scène par des femmes (Catherine Marchal pour De Quoi je me mêle ! et Anne Bouvier pour Mes Copains d’Abord).

C’est très vrai. Pascal avait mis en scène Dîner de Famille parce qu’il ne jouait pas dedans donc, comme c’était notre première collaboration, on s’était dit que c’était bien qu’il la mette en scène comme ça on gardait un peu l’organisation pour nous. Et puis on a vu que tout marchait bien donc on s’est dit qu’il fallait s’ouvrir et faire appel à un metteur en scène extérieur.

Dans De quoi je me mêle !, on voulait vraiment que le rôle de la femme ne soit pas du tout caricatural. Comme on est deux mecs, on s’est dit que le garde-fou serait peut-être de donner la clé de la mise en scène à une femme pour qu’on soit sûr de ne pas faire fausse route et de ne pas dépeindre le rôle. Nous, on veut des archétypes pour que les gens puissent se reconnaître mais pas des caricatures. Et, comme ça s’est très bien passée avec Catherine Marchal, pour Mes Copains d’Abord on est aussi parti de cette idée. On aurait pu choisir un homme mais il s’avère qu’avec Anne Bouvier la rencontre s’est faite et on très heureux. Anne est géniale, tout comme Catherine et on est super heureux d’avoir fait ces rencontres et très heureux d’être drivés par des femmes.

Les deux pièces vont-t-elles être reprises à Paris ou en tournée par la suite ?

Pour De Quoi je me mêle !, on est en train de chercher. On a joué 15 mois au Théâtre Edgar, on a fait 6 mois aux Enfants du Paradis et là pour 2023 on est en train de chercher mais on veut prendre notre temps pour ne pas se tromper de salle.

Mes Copains d’Abord, c’est une toute nouvelle création. La représentation que tu as vu ce soir, c’était la 11ème. On a fait quelques dates en juin et on en a fait 5 en Avignon (ndlr : l’interview a été faite le lundi 11 juillet). Donc, il faut un peu de temps parce que, tant que la pièce n’est pas créée, c’est dur de trouver la bonne salle. Mais on a déjà une année de tournée qui est prévue et c’est pendant cette année de tournée qu’on va essayer de trouver la bonne salle pour peut-être le printemps prochain, en 2023, comme on avait fait pour Dîner de Famille.

Mais il y a déjà une tournée de prévue avec des dates qui ont été pré-vendues avant même que le spectacle n’existe parce qu’il y a des gens qui nous font confiance suite à Dîner de Famille et De quoi je me mêle ! c’est-à-dire qui ont achetés la pièce sans même l’avoir vu, et ça me touche vraiment – sans prétention aucune de ma part – de voir la confiance des gens dans notre travail. Et, depuis qu’on a commencé à la jouer, il y a de nouvelles dates qui arrivent, avec des gens qui viennent la voir et qui l’achètent.

Ce n’est pas la première fois que tu participes au Festival OFF. Qu’est-ce que tu apprécies ici ?

Ça fait 13 ans. Beaucoup de gens disent que Avignon c’est compliqué, c’est fatiguant, etc. Alors, oui c’est vrai même si moi je suis encore un peu jeune donc je ne vais pas me plaindre (rires).

En fait, ce que je trouve génial à Avignon, c’est que c’est le seul moment de l’année où l’on se reconnecte avec notre métier parce qu’on se reconnecte avec le public. Quand on joue à Paris, les gens réservent sur Internet, donc on ne les voit pas avant, on les voit à peine pendant et on ne les voit pas après parce qu’ils partent donc on ne discute pas avec eux. On a des critiques parfois sur Billet Réduc mais c’est tout : donc on ne sait pas pourquoi ils sont venus, on ne sait pas ce qu’ils en ont pensés. A Avignon, on tracte les gens et on le fait à fond, 3h par jour, jusqu’à 1h avant le spectacle. Moi, je suis là jusqu’à 2 minutes avant de jouer : je suis devant la salle pour tracter, parler avec les gens pour essayer de les convaincre de venir. Ça nous permet de comprendre pourquoi on écrit la pièce parce que quand on veut expliquer à quelqu’un qu’on veut convaincre, il faut déjà qu’on sache nous-même ce qu’on a écrit. C’est hyper important parce que ça nous permet de nous recentrer, de savoir si on est au bon endroit dans l’histoire. Et quand on fait des pitch, quand on écrit, on pense Avignon : on se dit « Quand on va leur expliquer, on va leur parler de quoi ? De quoi on parle dans le spectacle ? » donc c’est très important. Et, après, quand on les retrouve à la sortie ou dans la rue, c’est génial d’avoir leurs retours, de savoir ce qu’ils aiment ou ce qu’ils n’aiment pas. Il n’y a qu’ici qu’on peut le faire et surtout dans une période aussi longue. Trois semaines c’est génial, même s’il ne faudrait pas un jour de plus car il ne faut pas déconner quand même (rires). A un moment donné, c’est fatigant, mais je trouve que – et ça nous a beaucoup manqué pendant les deux années de COVID– c’est essentiel pour se ressourcer, recharger les batteries – même si on repart fatigués – et repartir boostés pour la saison parisienne.

As-tu d’autres projets qui se profilent à l’horizon après le Festival ?

Alors oui mais comme celle-là est toute nouvelle, les autres projets sont vraiment des embryons de projets. Ce sera pour dans deux ans donc je ne préfère pas en parler là parce que je ne saurais même pas quoi te dire. Tout peut encore changer. Le projet actuellement, c’est Mes Copains d’Abord : ça vient de commencer et il faut qu’on assure le lancement et la suite.

Aurais-tu un coup de cœur à partager pour ce Festival OFF 2022 ?

Il y a On s’attache, qui joue en même temps que nous à 18h20, qui est très bien. C’est une comédie romantique très touchante, très drôle donc il faut y aller absolument. Mais à part cette pièce que j’ai vu avant de venir, je n’ai rien vu ici parce que je travaille de 11h du matin jusqu’à 21h quasiment. Après je mange et je vais dormir.

Pour conclure, je te laisse le mot de la fin.

Je suis très content de t’avoir revu puisqu’on ne s’était pas revus depuis 2019. Une des raisons aussi pour lesquelles je suis content de venir à Avignon, c’est de recroiser les gens qu’on ne voit qu’à Avignon et ça fait toujours plaisir. Donc, le mot de la fin, c’est de te dire « Je suis très content de t’avoir revu ».

Un grand merci à Joseph Gallet d’avoir pris le temps de répondre à mes questions pour Ciné, Séries, Culture.


Mes Copains d’Abord (1h20)

  • Auteur : Joseph Gallet et Pascal Rocher
  • Metteur en scène : Anne Bouvier
  • Avec : Kim Schwarck, Nathalie Tassera, Joseph Gallet, Christophe Truchi

A l’affiche du Théâtre Le Palace Avignon du 7 au 30 juillet 2022 à 18h20 (relâches les 12, 19 & 26 juillet).

Résumé : Pour préserver leur amitié, cinq amis d’enfance se sont fait la promesse de se revoir tous les dix ans. Cette année les retrouvailles ont lieu chez Samuel, devenu l’un des patrons les plus puissants du monde dans le secteur de l’intelligence artificielle. Il leur a réservé une surprise de taille, un petit jeu à l’issue duquel il cèdera son fauteuil et sa fortune au vainqueur. La règle est simple : chacun devra convaincre tous les autres qu’il est le meilleur et un gagnant sera élu à l’unanimité.

Cette soirée inoubliable mettra leur amitié à rude épreuve, avant de prendre une tournure particulièrement inattendue…

De quoi je me mêle ! (1h20)

  • Auteur : Joseph Gallet et Pascal Rocher
  • Metteur en scène : Catherine Marchal
  • Avec (en alternance) : Joseph Gallet, Pascal Rocher, Nathalie Tassera, Joyce Franrenet, Carine Ribert, Alexandre Guilbaut

A l’affiche du Théâtre Le Palace Avignon du 7 au 30 juillet 2022 à 16h00 (relâches les 12 & 19 juillet).

Résumé : Comment arriver à sauver son couple quand on se retrouve contraint de cohabiter avec une troisième personne qui ne jure que par le divorce ?

Marion et Mathieu sont mariés depuis 10 ans. Pour sauver leur couple, ils ont une idée originale : revivre dans les moindres détails le week-end où ils sont tombés amoureux.

Pour cela, ils relouent la maison dans laquelle ils s’étaient rencontrés. Mais en arrivant, ils découvrent qu’elle est déjà occupée par Pierre, écrivain dépressif venu s’isoler pour écrire un livre sur les bienfaits du divorce.

Le trio va devoir passer le week-end ensemble : la cohabitation promet d’être explosive !

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