[Interview] Salomé Villiers : « C’est Shakespeare qui m’a donné envie de faire ce métier »

© Anne-Sophie Giraud / Ciné, Séries, Culture
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A l’occasion de la 54ème édition du Festival Off d’Avignon, j’ai pu aller à la rencontre de Salomé Villiers, qui est actuellement à l’affiche de la pièce Beaucoup de bruit pour rien, qu’elle a également adaptée et mise en scène avec Pierre Hélie. La pièce se joue du 5 au 28 juillet 2019 à 20h25 au Théâtre du Roi René. Salomé Villiers est également à l’affiche de Adieu Monsieur Haffmann et de Maux d’Amour.

Bonsoir Salomé, tu joues dans Beaucoup de bruit pour rien au Théâtre du Roi René, que tu as également adaptée et mise en scène aux côtés de Pierre Hélie. Peux-tu nous présenter la pièce ?

Salomé Villiers : Je l’ai adapté et mis en scène avec mon ami Pierre Hélie qui joue également dans le spectacle. On a formé un duo à partir du moment où on s’est dit que l’on voulait monter ce spectacle et qu’on avait envie de jouer ensemble tous les deux. On a vraiment formé un duo, on a tout fait ensemble tous les deux. C’est tellement formidable d’être deux dans ces moments-là. Tout est plus ludique. On a deux cerveaux et deux cœurs au lieu d’un donc on n’est jamais fatigué et jamais à court d’idée et toujours passionnés. En plus, on a une façon de travailler qui est assez complémentaire Pierre et moi et, du coup, c’est vraiment jouissif.

Pour présenter le projet en un mot, c’est une comédie de Shakespeare qui nous fait rêver depuis qu’on est gamins. Avec Pierre, on s’est souvent dit qu’on avait aussi découvert l’Art avec Shakespeare. Un de mes premiers souvenirs de théâtre c’était Le Songe d’une Nuit d’Eté. C’est aussi Shakespeare qui m’a donné envie de faire ce métier. Beaucoup de bruit pour rien, c’est un film de Kenneth Branagh que j’ai adoré quand j’étais gamine. Et j’ai toujours rêvé de jouer et de mettre en scène du Shakespeare ce qui n’est pas évident, en plus pour deux jeunes metteurs en scène, parce que Shakespeare c’est souvent des grosses distributions, des intrigues à tiroirs. C’est un magicien du verbe, c’est un magicien d’intrigues. On est fans de Shakespeare tous les deux. Et ce sont nos rêves d’enfants qui nous ont donné envie de mettre en scène Shakespeare et de le jouer. Donc, quand on a décidé qu’on allait faire un duo, Pierre et moi, c’est allé très vite vers cette comédie de Shakespeare. Parce que c’est compliqué de monter une tragédie dans le théâtre privé, pour des jeunes comme nous aussi, et aussi parce que cette comédie elle nous parle depuis longtemps. C’est une comédie qui est extrêmement contemporaine comme toutes les autres pièces de Shakespeare bien sûr. Mais celle-là, à l’heure où l’on parle de réseaux sociaux, à l’heure où l’on met en scène sa propre vie sur Instagram, sur Facebook, c’est vrai que quand on lit Beaucoup de bruit pour rien, il y a une telle force qui se dégage de ce texte que l’on se dit : « Calmons-nous deux minutes et profitons de la vie et de l’instant présent et de l’humain en fait qui est en face de nous ». Je pense que c’est super important. Et c’est vrai que cette pièce là nous a d’autant plus parlé car elle parle de la jeunesse, elle parle de combats que l’on voit encore au quotidien : une guerre des sexes qui est très présente encore dans la société, et un enjeu de pouvoirs qui est très intéressant. C’est une pièce qui est construite en miroir.

On est une sacrée bande tous ensemble. Pour la plupart, on s’est rencontrés au Conservatoire du XIe où on était en cours. On s’est dit dans Beaucoup de bruit pour rien, il y a des rôles pour chacun et chacune. Et puis on a rencontré d’autres personnes qui ont intégrés notre belle famille et on est super contents de ça. On a rencontré Arnaud Denis, Eric Laugérias. Ça faisait longtemps que j’avais envie de travailler avec Eric. Arnaud ça a été une vraie découverte et on est super heureux de bosser avec eux. Maintenant, on a une team, une vraie famille autour de ce projet. Et même avec toute l’équipe artistique autour de ce spectacle. Il y a une très belle équipe de production. Il faut être courageux pour produire un spectacle comme ça avec une jeune équipe. On est dix sur le plateau. C’est un pari et on a de la chance d’avoir quatre coproducteurs qui sont extrêmement intelligents, courageux, audacieux et bienveillants et qui nous entourent de beaucoup d’amour donc c’est vrai que ça nous donne des ailes. Et on a aussi toute l’équipe artistique à côté : la costumière, le créateur de musiques, le créateur lumières, le créateur du décor, la régie aussi. Il y a une sacrée team. On est vingt-deux ou vingt-trois mis tous ensemble bout à bout avec l’attaché de presse aussi évidemment qui est un peu la « maman » de cette grande famille.

La pièce est très ancienne mais le propos est résolument moderne. On retrouve justement cette dualité entre le côté classique et le côté moderne dans la mise en scène…

Bien sûr, mais c’est ça qui nous intéressait. On est des grands fans avec Pierre de la metteuse en scène Julie Taymor qui a fait une mise en scène de Titus Andronicus de Shakespeare avec Anthony Hopkins et Jessica Lange qui est absolument génialissime. C’est une tragédie aussi qui nous bouleverse et qu’on aimerait aussi un jour mettre en scène. En fait, il n’y a pas d’époque donnée : cette histoire peut se passer autant en 1600 qu’en 1800 qu’en 2050 ou qu’aujourd’hui, peu importe. Ce qui est intéressant, et c’est ça qui fait le trésor des grands auteurs classiques, c’est qu’ils sont complètement intemporels. Aujourd’hui, on peut encore jouer Le Misanthrope, et j’espère qu’on pourra le voir encore dans vingt ans. Et pareil Shakespeare est indémodable et il n’a pas besoin de nous ou de qui que ce soit pour être intemporel. On n’est pas assez prétentieux pour dire qu’on a modernisé Shakespeare. Shakespeare n’a besoin de personne.

Mais on avait envie, nous, de créer un monde à part, un monde à nous avec des références historiques parce qu’effectivement, quand on lit la pièce avec Pierre, on a tout de suite imaginé l’entre-deux-guerres. C’est le retour de la guerre où, tout d’un coup, il y a cette espèce d’hystérie collective où il faut vivre à tout prix et haro sur le baudet. En fait, on ne guérit pas les blessures du passé, on les oublie. On essaye de les mettre dans un placard et de les enfermer à double tour sauf qu’à un moment donné, il faut bien les confronter ces blessures. Et c’est ça qui est intéressant. La pièce, nous a aussi beaucoup fait penser à La règle du jeu de Renoir. Donc on avait envie de mettre toutes ces références. On avait envie de faire exister la Sicile donc on est parti sur le marbre pour le décor, avec un ciel d’Italie, avec des costumes qui peuvent rappeler l’armée italienne. Ça reste des personnages méditerranéens qui ne réfléchissent pas. C’est un tourbillon Shakespeare, ça doit être joué avec la chair et avec le corps. Moi c’est ça qui me fascine et qui me bouleverse dans cet auteur. Et donc c’est pour ça qu’on a voulu une esthétique qui soit composée de pleins de références en fait. Et les spectateurs y verront chacun leurs propres clins d’œil en se disant : « Tiens, peut-être ils ont pensé à ça ou ça ». Mais nous on a voulu créer ce monde à part qui était le monde de notre mise en scène pour ce texte.

Justement, dans la mise en scène, j’ai remarqué à plusieurs moments-clés des flashs d’appareil photo…

Oui. On voulait faire penser justement aux selfies. Mettre l’appareil photo, c’est un instrument qui permet de mettre en scène un moment. Et aujourd’hui on passe notre temps à se prendre en photo et à se poster à droite, à gauche. Et du coup on trouvait ça important d’amener cette petite touche mais c’est très léger. C’est un flash, accompagné du bruit du flash et après on passe à autre chose. Mais ceux qui le remarquent, ça nous plaisir parce que c’est important. C’est vrai que ça faisait partie de notre mise en scène, de mettre cette petite touche très contemporaine. Pour le coup, on ne peut pas faire plus contemporain (rires).

Beaucoup de bruit pour rien
© Julien Jovelin

En plus de Beaucoup de bruit pour rien, tu as une actualité très chargée en cette édition 2019 du Festival OFF puisque tu joues également dans Maux d’Amour et dans Adieu Monsieur Haffmann.

Adieu Monsieur Haffmann, je le joue maintenant depuis presque deux ans et c’est un bonheur de tous les jours. Cette équipe est juste incroyable. Cette pièce est dingue. Jean-Philippe Daguerre qui a écrit et mis en scène le spectacle, c’est le genre de personnage qui me faisait rêver en plus quand j’étais gamine. S’il lit ça, il ne va pas s’en remettre (rires). Il a une aura. C’est un vrai chef de troupe, c’est un mec à la Molière, c’est-à-dire que c’est un mec qui a le don de sentir les gens pour réunir des familles et, non seulement c’est un excellent metteur en scène, mais c’est un excellent auteur aussi. La pièce Adieu Monsieur Haffmannn c’est un bonheur à jouer. Quand je l’ai vu la première fois en tant que spectatrice, j’étais ébloui et j’avais exactement la réaction des spectateurs. En plus, je peux réagir très fort des fois. J’avais pris la main de mon amoureux et j’avais fait « Oh ! ». Et, aujourd’hui, quand j’entends des gens réagir comme ça alors que je suis sur scène, ça me fait sourire parce que je me dis « Mon Dieu, j’ai eu tellement la même émotion quand je l’ai vu ! ». C’est une équipe formidable. Maintenant, on est tous plusieurs par rôles et c’est génial parce qu’on le joue tout le temps entre Paris, Avignon, la tournée et c’est une aventure complètement dingue. Je ne pensais pas avoir la chance de vivre un truc comme ça un jour. Et le fait qu’on soit en alternance, ça permet de ne jamais s’endormir. En fait, on est toujours content de se retrouver, on a toujours des combinaisons différentes, on est du coup toujours étonné du texte parce que, quand on change de partenaire, on n’entend pas la réplique comme on a l’habitude de l’entendre donc ça remet de l’enjeu à chaque fois et ça c’est chouette. J’aime beaucoup les alternances. Sur ma première mise en scène, quand on a commencé à faire les alternances sur Le jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, j’ai beaucoup aimé ça. Et redécouvrir le texte en tant que metteur en scène avec un nouvel instrument… A chaque fois, j’avais l’impression d’entendre une partition différente et c’est quelque chose qui m’éblouissait vraiment.

Et Maux d’Amour, c’est une création de cette année. C’est mis en scène par une très talentueuse metteuse en scène, Johanna Boyé, qui a mis en scène Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty ?, qui met en scène aussi Les Filles aux Mains Jaunes. Elle a aussi Tzigane qui se joue ici (ndlr : au Théâtre du Roi René). Et je joue avec Corinne Touzet qui est une partenaire incroyable, comme tous mes autres partenaires aussi. C’est une vraie rencontre. Ce sont des gens qui sont extrêmement généreux, extrêmement lumineux. Et c’est une très belle histoire en plus. Je ne la connaissais pas, j’ai vu le film quand je passais les auditions. J’ai lu la pièce et, en fait, c’est tiré d’un film avec Jack Nicholson et Shirley MacLaine, Tendres Passions, qui a eu 5 Oscars en 1984 dont Meilleur Film, Meilleur Scénario, Meilleure Actrice, Meilleur Acteur, Meilleur Réalisateur. Bref la totale.

J’ai donc découvert cette histoire entre une mère et sa fille : c’est une relation sublime autant que toxique. Et, en même temps, c’est ça aussi qui fait que c’est sublime de la façon dont c’est raconté. On les suit sur vingt ans, ce sont des personnages qui se cherchent, qui se trouvent, qui se séparent, qui se retrouvent. C’est une très belle histoire et je suis très heureuse d’interpréter le personnage d’Emma qu’on suit sur 20 ans, et qui est vraiment un cadeau pour un comédien. Et surtout de travailler avec cette équipe-là. Corinne Touzet qui joue ma mère, qui est un amour absolu de femme et qui est une superbe comédienne. Gregory Benchenafi qui joue mon mari, un amour de mec et excellent acteur. Marine Duséhu, qui joue plusieurs rôles et elle est formidable car on ne la reconnaît pas d’un rôle à l’autre. Elle est vraiment incroyable et c’est un amour de nana. Yannis Baraban joue le rôle de Jack Nicholson, il offre une prestation absolument bouleversante. Il me fait autant rire qu’il m’émeut dans ce spectacle. Il est touchant, mais tellement qu’il fait craquer. Si j’étais dans la salle, je serais « in love ». On joue à La Luna à 18h00 et j’enchaîne tout de suite avec le Shakespeare après.

Maux d'Amour
© Fabienne Rappeneau

N’est-ce pas trop compliqué justement d’enchaîner les deux pièces ?

Non. C’est bien que ce soit dans cet ordre-là en plus. Je ne vous dis pas pourquoi parce qu’il faut venir voir Maux d’Amour pour comprendre (rires). Mais je suis heureuse de finir sur une comédie. C’est un spectacle choral Beaucoup de bruit pour rien donc c’est la force du groupe, c’est la force de l’équipe et c’est ça qui fait la force et la richesse de ce spectacle je pense. Alors que Maux d’Amour, on est dans une atmosphère beaucoup plus intime, beaucoup plus émotive. C’est ça qui est beau. Et Beaucoup de bruit pour rien, ce que je trouve magnifique, c’est qu’on a tous une très belle partition à défendre dans ce spectacle. La force de Shakespeare, la force du groupe, le fait d’avoir dix comédiens sur scène, … Ce sont des spectacles comme ça qui m’ont donné envie de faire ce métier. Comme je disais tout à l’heure, quand je voyais Le Songe d’une Nuit d’Eté avec quinze comédiens sur le plateau, ça me vendait du rêve. Je me suis dit : « Je veux faire ça dans ma vie ». Et avoir la chance de pouvoir concrétiser ce rêve, c’est tellement bouleversant. Avec Pierre, quand on en parle, on se dit toujours que ce qui est beau dans le fait d’avoir du monde sur le plateau, d’avoir une pièce comme ça, c’est de faire un peu comme ce tableau La Ronde de Nuit de Rembrandt qui est au Musée Rijksmuseum à Amsterdam. C’est-à-dire que c’est un tableau tellement immense qu’on découvre à chaque fois un coin du tableau qu’on ne connaissait pas et on voit quelque chose que l’on n’avait pas vu avant. C’est tellement fantastique et grand, et il y a tellement de choses à voir.

Après le Festival OFF 2019, as-tu d’autres projets qui se profilent à l’horizon ?

Oui, on reprend Adieu Monsieur Haffmann à la rentrée. Moi je travaille sur deux mises en scène que je voudrais faire l’année prochaine. Je voudrais mettre en scène On ne badine pas avec l’amour de Musset dans un univers jazz. J’aimerais bien partir sur les émotions du jazz et la sensualité du jazz. Et je travaille aussi sur une autre pièce que j’adore, d’un auteur qu’on a joué ensemble l’année dernière avec Pierre, c’est Stéphane Guérin, qui a écrit une pièce qui s’appelle La Grande Musique qui est sur la psycho généalogie. C’est un thème fascinant. J’ai une équipe aussi incroyable et on va travailler dessus l’année prochaine.

Le festival ne fait que commencer, mais aurais-tu un coup de cœur à partager pour ce Festival OFF 2019 ?

Les filles aux Mains Jaunes que je recommande absolument. C’est une bombe atomique ce spectacle. Et La Famille Ortiz, la nouvelle création de Jean-Philippe Daguerre, que j’ai vu et que j’ai trouvé absolument splendide.

Pour conclure, je te laisse le mot de la fin.

Le mot de la fin ? J’espère qu’il n’y en aura jamais de mot de la fin (rires). Venez voir Beaucoup de bruit pour rien.

Un grand merci à Salomé Villiers d’avoir accepté de répondre à mes questions.

Beaucoup de bruit pour rien

Maux d'Amour


Beaucoup de bruit pour rien (1h30)

  • Auteur : Shakespeare
  • Metteurs en scène : Salomé Villiers et Pierre Hélie
  • Avec : Arnaud Denis, Pierre Hélie, Clara Hesse, Eric Laugérias ou Didier Niverd, Etienne Launay, Bertrand Mounier, François Nambot, Violaine Nouveau, Georges Vauraz, Salomé Villiers

A l’affiche du Théâtre du Roi René à Avignon du 5 au 28 juillet 2019 à 20h25 (à l’exception du 16 juillet). Plus d’infos sur : www.theatreduroirene.com

Adieu Monsieur Haffmann (1h30)

  • Auteur : Jean-Philippe Daguerre
  • Metteur en scène : Jean-Philippe Daguerre
  • Avec : Benjamin Brenière, Alexandre Bonstein, Jean-Philippe Daguerre, Anne Plantey, Salomé Villiers ou Charlotte Matzneff ou Herrade Von Meier.

A l’affiche du Théâtre du Roi René à Avignon du 5 au 28 juillet 2019 à 10h10. Plus d’infos sur : www.theatreduroirene.com

Maux d’Amour (1h35)

  • Auteur : Dan Gordon, Pierre Laville
  • Metteuse en scène : Johanna Boyé
  • Avec : Corinne Touzet, Salomé Villiers, Gregory Benchenafi, Yannis Baraban, Marine Duséhu

A l’affiche du Théâtre La Luna à Avignon du 5 au 28 juillet 2019 à 18h00 (à l’exception du 16 juillet). Plus d’infos sur : www.theatre-laluna.fr

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