[Interview] Olivier Marchal et Geoffroy Thiebaut : « Nénesse, c’est un drame de la misère ordinaire »

Ils sont actuellement au Théâtre Dejazet dans "Nénesse"

© Anne-Sophie Giraud / Jean-Marie Marion
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Olivier Marchal et Geoffroy Thiebaut sont actuellement tous les deux sur la scène du Théâtre Dejazet, aux côtés de Christine Citti et Hammou Graïa, où ils jouent dans Nénesse, une pièce écrite par Aziz Chouaki et mise en scène par Jean-Louis Martinelli. Quelques jours après avoir vu Nénesse, j’ai eu le plaisir d’aller à leur rencontre pour les interviewer.

 

Olivier et Geoffroy, vous êtes actuellement sur la scène du Théâtre Dejazet où vous jouez dans Nénesse. Pouvez-vous nous présenter cette œuvre ?
Geoffroy Thiebaut : C’est l’œuvre d’Aziz Chouaki qui a déjà pas mal de pièces à son actif. Cette pièce, Nénesse, représente tout à fait Olivier Marchal tel qu’on le connaît (rires), il va donc mieux vous en parler que moi.
Olivier Marchal : Quel enfoiré ! (rires) La pièce, Nénesse, c’est l’histoire d’un couple : Nénesse, qui est un ancien rockeur raté, alcoolique, islamophobe, homophobe, misogyne, ex-drogué, raciste, qui est marié avec sa Gina, qui est un peu le rayon de soleil de la pièce. Une femme, qui a certainement été très amoureuse de lui et qui est encore un peu amoureuse de lui. Ce sont des gens qui hébergent deux sans-papiers : un homme d’origine russe qui a perdu tous ses papiers, sa fonction, son métier comme ça arrive à des tas de gens, qui est joué par Geoffroy, et un réfugié syrien qui est joué par Hammou Graïa. Ils sont logés dans un container que Nénesse et sa femme Gina ont installé dans leur appartement avec goût et délicatesse et ils exploitent ces deux paumés. Mais, en fait, c’est l’histoire de quatre paumés. Moi, j’appelle ça « scène de la misère ordinaire », c’est les pauvres entre eux. C’est une espèce de huit-clos on va dire assez violent, assez noir et, en même temps, avec plein de choses drôles et totalement décalées. L’alcool ingurgité par Nénesse tout au long de la durée de ce huit-clos exacerbant les émotions et les rapports entre eux, ça va finir en drame de la misère ordinaire.
Geoffroy Thiebaut : On va pas dévoiler la fin non plus.

« C’est une pièce physiquement, intellectuellement, humainement et psychologiquement qui est très fatigante » Geoffroy Thiebaut

 

Olivier, vous jouez donc Nénesse, le personnage qui donne son nom à la pièce. Il s’agit, comme vous l’avez souligné, d’un personnage immoral, raciste, homophobe, misogyne et j’en passe. Avez-vous hésité avant d’accepter un tel rôle ?
Olivier Marchal : Non, pas du tout. Parce que c’est Jean-Louis Martinelli qui m’a confié la pièce. Ca serait venu d’un metteur en scène que je ne connais pas, je pense que je ne l’aurais pas faite. C’est débile ce que je dis car si j’avais eu un très bon rapport avec le garçon en question… Mais, avec Jean-Louis, venant du théâtre subventionné et ayant fait des spectacles de qualité, et étant réputé comme étant un homme de gauche, engagé et de talent, ça m’a rassuré quant à la forme qu’allait prendre l’objet théâtral, ou plutôt devrais-je dire l’ovni théâtral. Et puis j’ai la chance de jouer avec mon pote Geoffroy Thiebaut, Hammou Graïa que j’ai rencontré, que je ne connaissais pas et qui est un type adorable, et Christine Citti.
Geoffroy Thiebaut : C’est une belle aventure !
Olivier Marchal : Humainement, on est entre gens de bonne compagnie, on s’amuse beaucoup. C’est vrai qu’à jouer des ordureries comme ça tous les soirs, j’avoue que s’il y avait une mauvaise ambiance entre nous, je vivrais la pièce différemment. Mais là, franchement, on s’éclate et on est content de se retrouver. On est vraiment heureux sur scène. Après, comme je disais, il ne faut pas analyser et intellectualiser – en ce qui me concerne – Nénesse. Si je commence à intellectualiser pendant que je joue et à réfléchir à ce que je dis, c’est là que je vais avoir un trou et m’arrêter parce que c’est tellement énorme, vulgaire, grossier, raciste, méchant et tout qu’il faut y aller. C’est ça qui est très dur dans la pièce. Si vous voulez, normalement, une pièce c’est un 4000 mètres. Là, celle-là, c’est un 100 mètres, c’est un sprint, c’est pour ça qu’on est crevé. C’est un 110 mètres haies même parce qu’il y a des obstacles. Le texte étant le premier obstacle : c’est un texte très très difficile à apprendre, à jouer et puis les propos choquent beaucoup une partie du public. Il y a des gens qui adorent, d’autres qui sont profondément choqués, d’autres sont touchés. Ca alimente les débats d’après-pièce.
Geoffroy Thiebaut : Non, mais c’est bien, ça bouge. Le spectateur n’est pas passif. Mais c’est vrai que pour rebondir sur ce que disait Olivier, c’est une pièce physiquement, intellectuellement, humainement et psychologiquement qui est très fatigante. D’abord, avec le texte, on est tout le temps, non pas à la limite, mais sur un fil avec les mots d’Aziz Chouaki qui sont merveilleux. Mais, en même temps, ce n’est pas un langage parlé au quotidien, surtout en ce qui concerne mon personnage. Et donc, on est toujours sur ce fil et il faut être dans le coup. Mais, en même temps, c’est ce qui est passionnant dans ce genre de pièce comme Les Paravents (ndlr : de Jean Genet). On le voit bien, les spectateurs sont secoués autant que nous, voir même aussi fatigués car ils prennent ça dans la gueule. Mais c’est ça qui est bien, au moins ça réagit.
Olivier Marchal : Et puis il y a un problème d’âge aussi en ce qui te concerne…
Geoffroy Thiebaut : Ca y est, je sens venir la vanne.
Olivier Marchal : A ton âge, c’est compliqué de jouer ça…
Geoffroy Thiebaut : Surtout en face de toi, car quand je te vois fatigué comme ça…Tu es tellement bon que ta fatigue c’est contagieux.
(Rires)

Geoffroy, vous jouez Aurélien, un des deux sans-papiers hébergés par Nénesse. Qui est-il ?
Geoffroy Thiebaut : Aurélien, c’est un SDF sans-papier qui se demande ce qu’il fait là. Ca fait quelques mois qu’il est sans-papier car avant il travaillait au Palais Bourbon, il a été dans l’administration de l’UNESCO jusqu’au jour où l’administration lui a demandé de renouveler ses papiers. Il ne peut pas se procurer l’acte de naissance de son père qui vivait en Russie et qui a été détruit. Donc l’administration française, n’ayant pas ce papier, le considère comme un sans-papier et il se retrouve SDF. Pour lui, se retrouver dans cette atmosphère chez Nenesse et Gina, il ne comprend pas. Il est complètement perdu et se demande ce qu’il fait là. Il a sa nostalgie du passé, de toute cette partie de la Russie qui a disparue, de ses parents qui sont morts. C’est un homme d’une poésie profonde. Moi, il me touche ce personnage sinon, bien évidemment, je n’aurais pas accepté. Mais c’est vrai, là où Olivier a raison quand on lit la pièce la première fois, c’est qu’on se demande comment on va la jouer. Enfin, en tout cas, c’est la réflexion que l’on a eue tous les quatre. C’était pas évident et puis on s’est approprié nos personnages et, en tout cas, c’est un bonheur.

Justement, la syntaxe de l’écriture d’Aziz Chouaki est très particulière.
Geoffroy Thiebaut : Ah oui, c’est le moins que l’on puisse dire comparé à d’autres auteurs contemporains…
Olivier Marchal :  C’est du Céline.
Geoffroy Thiebaut : Oui.
Olivier Marchal : C’est des phrases très percutantes, tout le temps, avec une alchimie de mots très abracadabresques. C’est vrai que c’est un texte très très dur.

Nénesse est terriblement d’actualité. Frapper fort, repousser les limites – quitte à choquer les spectateurs – pour mieux dénoncer et interroger la société française. Est-ce la véritable force de cette pièce ?
Olivier Marchal : Pour moi, cette polémique « Faut-il rire de tout ? Parler de tout ? Oser tout ? », c’est des conneries de bobos parisiens. Il faut jouer, c’est tout. Cette pièce ne dénonce pas plus que le JT dénonce tous les jours la misère humaine, l’apathie des politiques. Les problèmes ne sont pas réglés et ils ne le seront jamais : les mecs répondent toujours à côté, c’est la langue de bois perpétuelle. Ca fait trente ans qu’on a la langue de bois dans ce pays, que personne ne prend les bonnes décisions. Donc, en ça, peut-être que c’est une pièce politique qui montre qu’effectivement ces gens-là sont là, aujourd’hui, en France, qu’ils vivent comme ça, qu’il y a des gens qui ont cette violence en eux, qui ont cette désespérance surtout qui, encore une fois, est surdimensionné par l’alcool. Le seul échappatoire qu’ils ont, c’est la bibine…

Nénesse
© Pascal Victor / ArtComPress

« Nénesse, c’est un mec qui est paumé, qui se réfugie derrière les mots ». Olivier Marchal

 

De par son sujet, est-ce que Nénesse a connu des difficultés lors de sa création ?
Olivier Marchal : Non. Franchement, j’avais beaucoup d’appréhension cet été lorsqu’on répétait. On se disait « putain, on va jouer ça à la rentrée », on pensait même mettre de la sécu à l’entrée du théâtre car on s’attaque quand même aux barbus, à l’islam radical mais comme tout le monde en prend plein son grade que ce soit les juifs, les homos, les arabes, les noirs, les femmes, les bobos… Disons que je pense que ça n’est pas une pièce uniquement ciblée sur l’islam radical, c’est du racisme général. C’est le racisme ordinaire. Nénesse, c’est un type qui va dégueuler sa haine de tout car il a tout raté donc, évidemment, il rend tout le monde responsable de son échec, de sa déchéance, ce qui est le cas de beaucoup de gens. Il se noie dans l’alcool, mais c’est un mec qui va boire des coups avec Boubacar, Ahmed, Moussa. Ce sont ses potes. Après, il va rentrer chez lui et il va dégueuler sur les arabes pendant une heure alors qu’il a joué aux dés et aux courses avec eux, qu’ils ont bu des coups et qu’ils ont rigolés en se tapant sur le ventre. On en connait plein des gens comme ça. Pour moi, Nénesse, ce n’est pas un vrai méchant. En tout cas, on l’a travaillé comme ça. Il y avait deux solutions pour monter Nénesse, soit le jouer comme ça, soit le monter avec un Nénesse au crâne rasé, en bombers et avec une batte de baseball. Mais dans ce cas là, le personnage est imbuvable et la pièce est « imbitable ». Là, c’est un type attachant.
Geoffroy Thiebaut : Oui, il devient attachant.
Olivier Marchal : C’est un mec qui est paumé, qui se réfugie derrière les mots, qui se gargarise des mots qu’il emploie, il fait des phrases sur les islamistes.
Geoffroy Thiebaut : Nénesse a quand même un problème, les arabes c’est pas vraiment son truc. Il aime bien le gaulois. D’ailleurs, il est plus sympathique avec Aurélien qu’avec Goran.
Olivier Marchal : Oui, bien sûr, il est gaulois pur jus mais, en même temps, c’est pas un mec qui irait faire des ratonnades et, il le dit lui-même, il ne vote pas Front National. Il ne vote pas du tout d’ailleurs. C’est son avis à lui, ça le dérange. Vous savez, le problème des communautés dérangent ceux qui vivent avec eux, c’est-à-dire que la pièce ne parle pas des problèmes de riche. La pièce est bien car elle parle des problèmes des pauvres. Les racistes ils sont dans les cités. Ce ne sont pas les racistes mondains qui habitent à Saint-Germain des Prés, et qu’on trouve entre le Fouquet’s, la Maison du Caviar et le Café de Flore qui vont dire « ces maghrébins » quand ils vont parler des arabes. Alors que Nénesse, lui, dans les cités, il dit « enculés de bicot » parce que ça parle comme ça. Et, en même temps, c’est la violence immédiate. C’est parce que l’endroit, la structure ne sont pas faits pour cohabiter, les gens sont les uns sur les autres et ne se supportent pas. Il ne reste alors que la violence pour s’exprimer.

Olivier et Geoffroy vous vous connaissez depuis très longtemps tous les deux. Est-ce que c’est un plaisir de vous retrouver sur scène tous les soirs ?
Geoffroy Thiebaut : Oh non, c’est une horreur (rires). En plus, c’est Olivier qui m’a apporté le texte, il m’a dit « je crois qu’il y a un rôle qui pourrait te convenir, lis-le et dis-moi ce que tu en penses ». J’ai lu et on se connaît tellement bien qu’il ne s’est pas trompé je pense. C’est un vrai plaisir de jouer avec une personne qui est comme un frangin. On se connaît depuis une trentaine d’années maintenant.
Olivier Marchal : Oui, c’est un plaisir. Après, on a l’œil qui frise un peu de temps en temps mais pas trop je trouve. C’est vrai, je pensais qu’on aurait plus de fous rires…
Geoffroy Thiebaut : Mais la pièce ne s’y prête pas trop …
Olivier Marchal : On arrive à se tenir et puis on est concentré quand même parce que si on commence à se marrer sur scène, la pièce est morte. Ce n’est pas un boulevard.

Nénesse est programmé jusqu’au 3 mars au Théâtre Dejazet. Est-ce qu’une tournée est envisagée par la suite ?
Geoffroy Thiebaut : Oui. Enfin, une trentaine de dates est envisagée, mais on n’en est pas là. On a quelques dates à Toulon et Nancy au mois de mars mais maintenant reste à savoir si des théâtres de province vont adhérer à ce genre de sujet.
Olivier Marchal : Je pense que la pièce est difficile pour la province. Ce n’est pas du parisianisme car je viens de province. Mais je le vois dans les tournées avec mes films ou même avec les spectacles précédents qu’on a tourné, la province n’est pas préparée. C’est des gens qui ont une vie plus tranquille, ils ne sont pas préparés à un tel dégueulis de trucs. Je pense que les gens peuvent être plus facilement choqués ou ne pas être aptes à recevoir le discours de la pièce, à part des grandes villes comme Lyon, Bordeaux ou Marseille qui sont des villes de théâtre. Nous, il y a une tournée de prévue en octobre-novembre-décembre mais, pour l’instant, on n’a pas les dates ni les villes. En tout cas, je sais pas où on sera en octobre. On sera peut-être en tournage. Donc, pour l’instant, rien n’est signé.

Enfin, pour conclure, quels sont vos projets à tous les deux après Nénesse ?
Geoffroy Thiebaut : On va faire la quatrième édition avec Fanny Bastien du Festival du Film Insolite de Rennes-le-Château que l’on a créé il y a quatre ans et où Olivier est venu deux années de suite. On a aussi eu Pierre Richard comme parrain. On espère que cette quatrième édition permettra d’en faire des suivantes car c’est beaucoup de boulot. On fait une compétition de courts-métrages où on donne leur chance à des films qui ont été un peu dans l’anonymat de ressurgir. On va voir comment ça se passe pour la suite. Il y a aussi d’autres choses de prévues mais je préfère ne pas trop en parler car tout ça est encore au stade de projet donc ça ne sert à rien de parler de choses qui ne sont pas signées. Mais Olivier a d’autres choses aussi passionnantes…
Olivier Marchal : Oui, normalement, je dois faire le film de Philippe Guillard avec Gérard Lanvin. Je dois faire l’acteur là-dedans, dans cette comédie plutôt drôle sur deux grands-pères. Il reforme l’équipe du Fils à Jo avec Gérard Lanvin et moi. Et puis je suis en écriture de mon prochain long-métrage que je devrais tourner en fin d’année, à la rentrée 2018, entre octobre et fin décembre, un polar sur la Côte d’Azur.

Un grand merci à Olivier Marchal et Geoffroy Thiebaut qui ont pris le temps de répondre à mes questions pour Ciné, Séries, Culture.


Nénesse (1h30)

  • Auteur : Aziz Chouaki
  • Metteur en scène : Jean-Louis Martinelli
  • Avec : Olivier Marchal (Nénesse), Christine Citti (Gina), Geoffroy Thiebaut (Aurélien), Hammou Graïa (Goran)

A l’affiche du Théâtre Dejazet depuis le 9 janvier et jusqu’au 17 février 2018, du mardi au samedi à 20h30, représentation supplémentaire à 16h le samedi.

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