[Interview] Marie Réache et Jules Fabre : « Dans la compagnie des Epis Noirs, il faut être à la fois musicien, comédien, chanteur, danseur »

A l’occasion de la 56ème édition du Festival Off d’Avignon, j’ai pu aller à la rencontre de Marie Réache et Jules Fabre, qui sont actuellement à l’affiche de Britannicus, Tragic Circus, un spectacle des Epis Noirs. La pièce se joue du 7 au 30 juillet au Théâtre du Balcon à Avignon.

Bonsoir Marie et Jules, vous jouez actuellement Britannicus, Tragic Circus au Théâtre du Balcon. Pouvez-vous nous présenter la pièce ?

Marie Réache : C’est une tragi-comédie rock’n’roll irrévérencieuse. Le texte est complètement réécrit : il n’y a plus rien du tout de Racine et pourtant la tragédie de Britannicus est là. On raconte l’histoire, mais à la façon des Epis Noirs. Pierre Lericq a une patte particulière d’écriture donc c’est teinté d’humour. Ces personnages, ils ont vraiment quatre ans et demi d’âge mental. C’est un monsieur loyal dans un cirque qui présente ses monstres et ses montres sont les personnages de la tragédie de Britannicus.

Jules Fabre : En tout cas, la trame du spectacle Britannicus de Racine reste la même mais c’est complètement réécrit.

Marie Réache : C’est très irrévérencieux !

Jules Fabre : C’est très rock’n’roll surtout !

Marie Réache : Il y a beaucoup de choses drôles, d’humour potache, il y a de la réflexion. Il y a notamment toute une réflexion sur le silence qui est mené par le personnage du directeur du théâtre, avec cette troupe qui joue ce spectacle et qui a vraiment une existence propre à l’intérieur. A un moment, ils veulent tous arrêter car ils ont l’impression que le directeur du théâtre les a complètement arnaqués parce qu’il n’y a aucune date de tournée alors qu’il leur avait dit qu’il y en aurait 50 et puis on les voit se réconcilier 5 minutes après simplement parce qu’il y a des frites le soir à table. Du coup, tout repart car ils sont contents. C’est en ça qu’ils sont très premier degré, qu’ils n’ont pas d’arrière-pensée. C’est direct, ils n’ont aucune réflexion, vraiment comme des enfants.

Jules Fabre : Il y a beaucoup d’humanité malgré tout dans cette équipe-là. On voit tout le fonctionnement d’une équipe avec toutes les choses négatives, positives et on voit qu’on se réconcilie sur un truc hyper banal mais en même temps la vérité elle est là : c’est qu’on veut juste manger des frites et c’est ça qu’on fait à la fin puisqu’on finit cette représentation autour d’une table avec des patates. A chaque fois le directeur, il arrive à les rattraper et à en faire ce qu’il veut sous les applaudissements du public.

Britannicus, Tragic Circus / © Olivier Brajon

La musique tient un rôle important dans la pièce puisque c’est du théâtre musical. C’est l’occasion pour vous de montrer toute l’étendue de votre talent ?

Marie Réache : Oui, parce que dans la compagnie des Epis Noirs, il faut être à la fois musicien, comédien, chanteur, danseur. On est tous comédiens mais c’est un peu la marque de fabrique de la compagnie : il faut que les gens soient pluridisciplinaires. Même s’il y en a bien sûr qui sont plus danseurs que chanteurs, ou inversement.

Jules Fabre : Il faut savoir un peu tout faire. Sinon, c’est compliqué de faire un spectacle aussi musical. On peut avoir des lacunes à certains endroits mais il faut avoir quand même une autre spécificité que celle de comédien pour pouvoir assurer la musique, la danse, etc. C’est hyper intéressant comme exercice de comédien d’être aussi polyvalent comme ça.

La pièce est une création des Epis Noirs dont vous faites partie depuis plusieurs années. Pouvez-vous présenter la troupe ?

Marie Réache : Moi, je suis arrivée dans la compagnie il y a 8 ans sur un spectacle qui s’appelait Festin (ou la véritable histoire de Don Juan) qu’on avait joué sous un chapiteau. On était 14 comédiennes plus Pierre Lericq qui jouait Don Juan.

Jules Fabre : C’est du théâtre populaire de qualité. On ne fait que du théâtre musical, c’est-à-dire qu’on ne verra pas de pièce des Epis Noirs sans musique. C’est toujours un théâtre relié à la musique. Il n’y a pas de théâtre sans musique.

Marie Réache : Tout est rythmique, y compris le texte. Même quand il n’y a pas de musique, c’est rythmique : les répliques sont très collées, c’est très énergique.

Jules Fabre : C’est du théâtre pour tout le monde. Nous, on travaille pour qu’il n’y ait pas d’élitisme ou quoi que ce soit, que tout le monde puisse comprendre ce théâtre-là. Et la musique, c’est un langage qui est plus universel donc les gens qui ne sont pas forcément sensible au texte peuvent être sensibles à la musique qu’il peut y avoir dans le spectacle.

Marie Réache : Oui parce qu’il y a pleins de choses différentes à voir, pleins de tableaux très différents, colorés, etc.

Jules Fabre : Et là, Britannicus, c’est un peu l’essence même de ce théâtre-là dans toute sa splendeur.

Marie Réache : La compagnie avait monté un spectacle extraordinaire qui s’appelait Flon Flon qui a eu énormément de succès à Avignon, puis Bienvenue au paradis.

Jules Fabre : On a aussi fait l’histoire de France, ça s’appelait Allons Enfants !

Marie Réache : Allons Enfants ! qui a été joué l’année dernière est un spectacle magnifique qui avait été repris à la Pépinière à Paris. En fait, Pierre Lericq écrit les chansons, écrit le texte, il fait la mise en scène, il joue dedans, il fait absolument tout…

Jules Fabre : Qu’est-ce qu’il ne fait pas surtout ? (rires)

Marie Réache : Et il nous mène à la baguette un peu comme le directeur du cirque. Il y a une grosse exigence…

Jules Fabre : Oui, pour être à la hauteur de ce que demande cette compagnie, il y a une exigence de fou.

Britannicus, Tragic Circus / © Olivier Brajon

C’est la première fois que vous jouez ensemble sur scène ?

Jules Fabre : C’est la deuxième fois.

Marie Réache : On a joué au Théâtre du Rond-Point dans Les Pas Perdus de Denise Bonal quand Jules avait 9 ou 10 ans.

Jules Fabre : C’était mes premiers pas sur scène.

Marie Réache : Il avait deux belles scènes dans ce spectacle qui était mis en scène par Gilles Guillot et je jouais sa mère comme ici d’ailleurs dans Britannicus.

La pièce va-t-elle être reprise à Paris ou en tournée par la suite ?

Marie Réache : On espère de tout cœur.

Jules Fabre : On espère énormément. C’est un beau début de festival pour nous, on est hyper contents.

Marie Réache : On espère que ça va tourner, on espère la reprendre à Paris car ça a été un gros boulot. C’est une création. Là, on en est à la 5ème représentation (ndlr : l’interview a été enregistrée le 10/07) et d’être déjà complet, c’est une récompense immense de ce travail.

Jules Fabre : Ça fait 4 ans quand même qu’on travaille sur ce spectacle. On aurait dû le faire l’année dernière mais on s’est dit que faire une création au redémarrage après le Covid, ce n’était pas forcément une bonne idée. Ça fait 2 ou 3 ans qu’on doit le jouer et là on y arrive enfin.

Marie Réache : Oui, on est tombé en plein Covid. On a eu de grandes périodes sans répéter.

Jules Fabre : On est tellement contents de pouvoir le jouer maintenant.

Jules, vous avez une autre actualité dans ce Festival OFF puisque vous jouez également dans Mariage contre la montre au Théâtre Bô. Pouvez-vous nous présenter la pièce ?

Jules Fabre : J’ai un autre spectacle qui s’appelle Mariage contre la montre qui se joue à 10h au Théâtre Bo le matin tôt. Là, c’est aussi du 16ème degré. C’est une sorte de comédie musicale, c’est complètement déconnant mais si c’est pris au 16e degré, c’est très amusant. Si on arrive à se lever à cette heure-là, il y a moyen de bien s’amuser. C’est très très marrant à jouer.

Tous les deux, ce n’est pas la première fois que vous participez au Festival OFF. Qu’est-ce que vous appréciez ici ?

Marie Réache : Moi, je viens vraiment de la roulotte parce que mes parents avaient une grosse troupe de théâtre amateur dans le Loiret donc Avignon ça fait très longtemps que je connais. Ça fait 20 ans que je le fais quasiment tous les ans avec des spectacles. Qu’est-ce que j’apprécie ? Cette effervescence et ce truc avec tous ces gens, tous ces comédiens. Je trouve que c’est très beau, que les gens se respectent vachement. J’aime bien cette ambiance. Après, c’est vrai qu’il y a de plus en plus de spectacles et que je pense que, pour pleins de gens, c’est très dur et que ça devient de plus en plus difficile. Il me semble que Avignon, devrait être plutôt l’endroit de la création que des reprises. On peut reprendre une fois quand ça a bien marché mais peut-être pas reprendre 36 fois pour laisser la place à des créations car c’est ça justement qui est intéressant à Avignon.

Jules Fabre : C’est formidable, ça fourmille vraiment et il y a énormément de gens. C’est cool cette ambiance là mais c’est vrai que, d’un Avignon à l’autre, on peut avoir des expériences qui sont radicalement différentes. Là, nous, on a de la chance d’être dans un bon théâtre avec une belle production et que tout se passe bien mais c’est vrai que, pour beaucoup de compagnies, c’est quand même un festival qui peut être très compliqué si on a moins de monde dans la salle. Et puis, c’est du tractage tout le temps, c’est des parades donc ça peut être vraiment épuisant. Là, nous a on a vraiment cette chance d’être dans de très bonnes conditions et ça n’a pas toujours été le cas.

Marie Réache : Et je crois qu’il y a des trucs absolument supers qui ne marchent pas parce qu’ils sont simplement dans des lieux non répertoriés.

Jules Fabre : C’est ça, on n’est pas toujours responsables, c’est à dire que ce n’est pas forcément la qualité du spectacle qui définit la réussite du spectacle à Avignon : parfois ce sont des conditions de production, de lieu, etc. Et, parfois, il y a des spectacles supers mais qui ne sont vus par personne parce que la pub n’est pas faite et que les éléments ne sont pas réunis pour.

Marie Réache : Mais il y a quand même une justice. Quand un spectacle est vraiment bien, ça finit quand même par se savoir petit à petit. Et quand le spectacle revient l’année d’après, en général, il marche. Il y a quand même malgré tout une justice quand quelque chose tient vraiment la route. C’est dur mais ce n’est pas totalement injuste.

Jules Fabre : Du coup, bon courage à toutes les compagnies cette année avec 1570 spectacles. Essayons de rester solidaires et de ne pas se tirer dans les pattes pendant cette période-là parce que déjà qu’on galère, il vaut mieux se serrer les coudes.

Comme tout le monde le sait désormais, Plus Belle La Vie va s’arrêter en fin d’année. Comment avez-vous vécu cette annonce ? Et quels souvenirs allez-vous garder de cette aventure ?

Marie Réache : Cette annonce, on l’a tous assez mal pris car moi il me semble qu’il y avait d’autres choses à supprimer que Plus Belle La Vie. C’est une série qui est populaire, qui défend des valeurs plutôt humanistes, qui est très branchée sur l’actualité. J’avoue que je n’ai pas trop compris, je pense que c’est sûrement des histoires de pognons comme d’habitude…

Jules Fabre : On n’est responsable de rien…

Marie Réache : On est tous extrêmement peinés car c’est une équipe tellement extraordinaire. Arriver à créer ça sur un plateau de télé, qu’il y ait une telle solidarité entre les acteurs, c’est quand même rarissime, j’ai rarement rencontré ça. Et tous les récurrents du début ont vraiment participé à cette ambiance, à l’accueil des autres comédiens et puis le fait qu’on mange tous ensemble, avec les gens de la production, avec les employés des studios, etc.

Jules Fabre : Je suis arrivé il y a 5 ans et j’en avais entendu parler de Plus Belle La Vie. Quand je suis arrivé, je flippais en tant que fils de Marie Réache et d’Alexandre Fabre et, en fait, il n’y a pas de starification justement, c’est ça qui est fou. Et puis il n’y a pas non plus 1000 séries qui défendent, qui prennent des risques au niveau des sujets qu’ils abordent. Aborder le premier couple homosexuel, la bipolarité, la transidentité, tout ça, il y a tellement peu de gens qui prennent ce risque là et Plus Belle La Vie le faisait. Moi je trouve ça absurde de supprimer une série comme ça parce que ok, d’accord, il y a moins de téléspectateurs mais il faut laisser sa chance à la série.

Marie Réache : On voit pleins de gens qui viennent nous voir et qui sont tristes.

Jules Fabre : On oublie qu’il y a au moins 3 millions de téléspectateurs par soir et que ce n’est pas rien quand même.

Marie Réache : On s’arrête de tourner le 30 septembre, ça va être très triste. Il y a une énorme fête le 30 septembre, ils font revenir tous les anciens et on va vraiment beaucoup pleurer. Quand je vais quitter mon appartement dans la série dans lequel j’ai tellement tourné pendant 10 ans, ça va me faire bizarre de quitter la place du Mistral. Peut-être que ce décor va être détruit…

Jules Fabre : Absolument pas. Je ne spoile rien mais ils ne vont pas le détruire.

Marie Réache : Tant mieux.

Jules Fabre : De toute façon, ils réfléchissent toujours à un après potentiel. Ils l’ont toujours en tête. C’est l’adjoint au maire de Marseille qui disait l’autre fois qu’ils réfléchissaient à ce qu’ils allaient faire des studios, s’il pouvait y avoir une suite à Plus Belle La Vie, etc. Ils se questionnent… Et nous, on aimerait tellement que ça continue. Je crois qu’il faut qu’une chaîne s’en empare et fasse quelque chose avec. C’est quand même une marque de fabrique énorme Plus Belle La Vie.

La série a été souvent critiquée et pourtant c’est ce qu’on pourrait appeler une série d’utilité publique puisqu’elle questionne de nombreux sujets de société, parfois très proches de l’actualité ?

Jules Fabre : C’est exactement ça. C’est d’utilité publique comme ce qu’on fait nous au théâtre. Là, le théâtre qu’on fait, c’est un peu d’utilité publique aussi. Tu vois, le parallèle, il est vraiment dans le fait que ce soit populaire.

Marie Réache : Et humaniste.

Avez-vous d’autres projets qui se profilent à l’horizon après le Festival ?

Marie Réache : Nous, Pierre et moi, on va enregistrer un album de chansons, ça s’appelle les Cœurs Purs. On envisage de faire un concert peut être au mois de décembre à Paris.

Jules Fabre : Moi, je suis en train de monter une adaptation de Don Juan qui est aussi du théâtre musical. On va le monter entre septembre et décembre : il devrait se jouer à partir de janvier et donc, potentiellement, au Festival OFF d’Avignon 2023.

Et pour les tournages, maintenant, on espère qu’on va rebondir ailleurs. De toute façon, il y a des tournages qui vont se faire, on n’est pas liés à Plus Belle La Vie. Et peut-être qu’on va faire une autre pièce avec les Epis Noirs qui serait la deuxième partie de l’histoire de France : on irait de 1789 à 2040. Et puis on va se reposer aussi un petit peu (rires).

Marie Réache : Et puis en août et en septembre on tourne toute la fin de Plus Belle La Vie.

Auriez-vous un coup de cœur à partager pour ce Festival OFF 2022 ?

Jules Fabre : Il faut aller voir Le Misanthrope de Thomas Le Douarec avec Jean-Charles Chagachbanian et une copine qui s’appelle Jeanne Pajon au Théâtre des Lucioles.

Marie Réache : Moi je recommande le spectacle dans lequel joue Cécilia Hornus, La Dernière Lettre, au Théâtre du Girasole à 17h15. Je recommande également le spectacle de Marion Bierry qui s’appelle Marie-Antoinette et qui est un très chouette spectacle. J’aime aussi beaucoup la compagnie Fouic théâtre de Jean-Christophe Dollé. Je ne sais pas s’il joue cette année mais c’est extraordinaire (ndlr : il joue 2 spectacles, Téléphone-Moi et Allosaurus au 11. Avignon).

Jules Fabre : Et j’ai participé à la création d’un spectacle qui s’appelle Phèdre de Racine et j’ai dû me faire remplacer pour Avignon parce que je ne pouvais pas. C’est un Phèdre dansé et c’est assez spectaculaire. Vraiment, on ne sort pas déçus. C’est une autre approche du texte de Racine, encore différente de celle-là, et ils jouent au Théâtre de l’Archipel à 17h.

Marie Réache : Et j’aime aussi beaucoup le travail de Michel Bruzat qui joue Merci au Théâtre des Carmes à 13h55 avec Flavie Edel Jaume qui est une comédienne extraordinaire.

Pour conclure, je vous laisse le mot de la fin.

Marie Réache : Vive le public vivant… C’était quoi la phrase de Pierre, déjà?

Jules Fabre : Vive le vrai public ! Vive l’enfance !

Un grand merci à Marie Réache et Jules Fabre d’avoir pris le temps de répondre à mes questions pour Ciné, Séries, Culture.


Britannicus, Tragic Circus (1h20)

  • Auteur : Pierre Lericq
  • Metteur en scène : Pierre Lericq
  • Avec : Jules Fabre, Pierre Lericq, Gilles Nicolas, Tchavdar Pentchev, Marie Réache, Juliette De Ribaucourt

A l’affiche du Théâtre du Balcon du 7 au 30 juillet 2022 à 19h55 (relâches les 12, 19 et 26 juillet)

Résumé : Une troupe de théâtre ambulant, dirigée par un « Monsieur Loyal » tonitruant, mène ses comédiens à la cravache pour vous raconter la véritable, et non moins monstrueuse, histoire de Britannicus. Tout se passe en un seul jour à Rome. En mai 68 de notre ère. Claude, l’empereur romain, meurt empoisonné par une omelette préparée par sa femme Agrippine qui peut ainsi nommer à la tête de l’empire, son propre fils, Néron. Ce dernier, dès l’aurore, a enlevé Junie, qui devait se marier ce jour-même à son frère Britannicus. Ce qui, évidemment, provoque une fureur incommensurable, chez son frère, chez sa mère, au palais et dans tout l’empire. Narcisse et Albin, les deux conseillers de Néron, diamétralement opposés et néanmoins frères siamois, vont mettre Néron face à ses responsabilités et au premier choix de sa vie : Junie ou l’empire ? Ou les deux… ?

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